« J’ai porté un coup au jeune homme, mais pas à la jeune femme, certifie Jean, jeune homme robuste, tête rasée sur les côtés, façon militaire.
– Pareil, assure Yannis, freluquet, moins âgé mais plus rebelle que son comparse.
– Pourtant, s’exclame la présidente, des policiers assistent à la scène et décrivent l’agresseur de la femme ainsi : "Un individu portant un tee-shirt bleu avec inscrit à la verticale : Calvin Klein, en gros caractères blancs." »
Le tee-shirt de Yannis correspond tout à fait. Sa figure vire au rouge. On entend des rires étouffés dans le tribunal, des chuchotements au ton moqueur.
« La jeune femme, poursuit la présidente, se basant sur les PV, sort d’un cinéma avec son ami, vers 2 h du matin. Elle entend "Sale pute" sur son passage, se retourne et demande aux "lâches" de venir lui redire en face. Ça dégénère, le copain s’interpose et se fait bousculer. La rixe se stoppe, mais la jeune femme les apostrophe de nouveau. Ça repart de plus belle : elle reçoit un coup à son tour, ce qui lui vaudra deux jours d’ITT.
– Ces personnes ont crié et lancé des insultes en premier, accuse Jean.
– Quelles insultes ? demande la présidente.
– Je ne sais pas, mais des insultes, répond-il, mystérieux. Et surtout peu crédible.
– Elles vous étaient adressées ?
– Oui, j’en suis sûr. Moi j’ai juste dit "Y'a une fille". J’avais pas vu son copain. Je suis allé à la rencontre du couple et ils m’ont dit : "Nique ta mère." Excusez-moi de ce langage madame le président.
– Et vous leur avez répondu ?
– Moi ? Oui. Juste "Sale pute". Et j’ai voulu bousculer la jeune femme pour qu’elle arrête de m’insulter. Mais son copain s’est interposé. C’est lui que j’ai touché, dit-il, mimant l’action, les deux bras en avant.
– Vous visiez donc la demoiselle ?
– Oui.
– Et vous ? Pourquoi avoir frappé la jeune femme ? demande la présidente à Yannis, l’autre prévenu.
– Je ne voulais pas frapper la fille. J’étais énervé contre son copain. J’ai voulu le frapper, il a vrillé et donc j’ai touché la fille.
– Dites donc c’est particulier votre affaire ! L’un voulait frapper l’homme et a touché la femme, l’autre voulait frapper la femme, mais a touché l’homme… D’ailleurs, pourquoi en avoir après le monsieur ? Il ne vous avait rien fait ?
– Ben si. Il n’arrivait pas à calmer sa femme. »
Malaise dans la salle. Une demoiselle dans le public souffle à son ami : « C’est la cata sa défense. » Ils rigolent. Au même moment, la jeune femme victime du coup est appelée à la barre. Les deux prévenus se regardent, l’air d’appréhender la suite.
« Avez-vous été agressive ? demande la présidente.
– Non, lâche la victime, tee-shirt gris, longue chevelure brune ondulée.
– Et votre compagnon ?
– Non plus. D’ailleurs, il n’y a pas de procès dans le procès : les deux prévenus ne nous accusent pas d'avoir été agressifs envers eux, dit-elle, pleine d’aplomb. Et de continuer : la seule erreur que j’ai pu commettre, c’est de ne pas être passée au-dessus de leurs insultes. J’aurais peut-être dû baisser la tête… »
Sur la personnalité des deux prévenus : Jean boit trop, Yannis fume trop de cannabis. Les deux, outrés, nient avoir des problèmes. La salle devient bruyante à nouveau. Le procureur se lève pour requérir : « Ces deux messieurs tentent de justifier un comportement imbécile. Insulter et violenter une femme, qui plus est en 2015, c’est inadmissible. Et évidemment ils sont alcoolisés, donc désinhibés. Ils ne savent pas quand s’arrêter. » Il réclame six mois de sursis simple pour Yannis. Et comme Jean a déjà été condamné pour violence, il requiert à son encontre six mois, dont trois avec sursis mise à l'épreuve.
« Six mois de sursis pour des coups, c'est énorme », plaide en substance l'avocat de Yannis, avant de laisser sa place à celui de Jean. « Sur la mise en accusation, mon client est poursuivi pour avoir violenté la fille. Or, il ressort des débats que, même s'il a voulu la frapper, c'est le jeune homme qu'il a touché. Vous entrerez donc en voie de relaxe pour ces faits-là », assène-t-il. Et de conclure que son client est aujourd'hui « complètement calmé, complètement réinséré ».
Yannis est condamné à six mois de sursis avec l'obligation de suivre un stage de sensibilisation à l'usage des stupéfiants. Jean, à huit mois, dont quatre avec sursis mise à l'épreuve pendant deux ans, comprenant une obligation de soin vis-à-vis de l'alcool et de trouver un emploi.
Les prénoms ont été modifiés.