« Je voudrais être morte à la place de cette dame »

Le ciel était bleu et la route dégagée. Sa C3 était en bon état, elle n'était pas pressée ni distraite par son téléphone. Elle n'avait pas pris de drogues, de médicaments ou d'alcool et avait dormi normalement la veille. Ce 14 août 2020, vers midi, rien n'a troublé l'attention d'Ophélie en arrivant au carrefour des Jarries, à la Limouzinière, une petite commune de Loire-Atlantique. Elle a pourtant manqué le stop. Une absence qui a brutalement ôté à cette étudiante en design graphique l'insouciance de ses 22 ans. A la barre de la sixième chambre correctionnelle, treize mois plus tard, elle s'avance d'un pas qu'on pourrait croire léger. Vêtue d'une jupe longue verte et d'une veste en jean, elle étouffe un petit rire nerveux au moment de décliner son identité. Puis, plus rien ou presque, en dépit des précautions prises par la présidente dans la formulation de ces questions.

« Je suis désolée, je ne sais pas du tout », répond-elle à plusieurs reprises avant de préciser : « J'étais consciente oui, mais je ne me souviens que de l'ambulance ». Ces silences et ces sanglots plus ou moins retenus sont entrecoupés de signes de tête, notamment pour confirmer qu'elle a pu reprendre le volant depuis le drame ou qu'il s'agissait bien de son premier écart de conduite en quatre ans de permis. Sur le banc de la partie civile, une femme d'une cinquantaine d'années ne peut que constater l'amnésie d'Ophélie. « C'est très difficile d'accepter cette situation car nous n'y sommes pour rien. C'est d'autant plus dur car aujourd'hui nous espérions avoir des explications. Avec ma sœur nous étions comme des jumelles. »

Le 14 août, Françoise allait déjeuner chez sa mère avec sa sœur Anne et sa nièce Camille. C'est elle qui conduisait quand Ophélie est venu percuter la porte avant droite de sa Peugeot 206. Un choc d'une grande violence à plus de 80 km/h, sans traces de freinage. La voiture a valsé dans un champ après plusieurs tonneaux. Sur le siège passager, Anne, âgée de 51 ans, meurt sur le coup. Derrière le volant, Françoise répète en boucle :«  J'ai tué ma petite sœur, j'ai tué ma petite sœur... » Sur la banquette arrière, Camille, 18 ans, souffre de multiples fractures, notamment au visage. Les jambes en l'air, elle doit attendre avant d'être désincarcérée puis transportée en hélicoptère au CHU de Nantes, en urgence relative. Cette jeune femme qui ne voit son père, installé à l'étranger, qu'une fois par an, apprend le décès de sa mère de la bouche des médecins. Présente à côté de sa tante à l'audience, elle décline l'invitation de la présidente à venir s'exprimer à la barre.

« C'est un dossier particulièrement douloureux, il n'y a pas besoin d'insister sur la gravité des faits, les éléments du dossier parlent d'eux-mêmes », indique justement Me Pauline Raphalen, l'avocate des parties civiles. Une mesure de ton dont ne s'embarrasse pas le procureur, Olivier Bonhomme. « Les conséquences auraient pu être bien plus dramatiques », démarre-t-il avant de rappeler la présence d'un panneau stop et de bandes rugueuses en amont de la ligne blanche. Des éléments contestés par la défense mais suffisants selon lui pour enfoncer Ophélie : « Mademoiselle n'a aucune explication à donner et aujourd'hui elle arrive et dit ne se souvenir de rien. Sa faute reste inexpliquée mais est énorme ! Il faut avoir pleine conscience quand on prend le volant et là, on a roulé n'importe comment... Où avait-t-on la tête ? Que faisait-t-on ? Il faut assumer maintenant. La sœur de la victime ne devait jamais prononcer cette phrase terrible. » A l'issue de réquisitions qui laissent planer un malaise aussi bien dans le public que dans le regard des autres robes noires, une année de prison avec sursis plus une année de suspension du permis sont demandées.

« C'est compliqué de prendre la parole dans une affaire aussi dramatique », intervient Valentin Gaschard en défense.« Je dois vous avouer que j'ai du mal à comprendre les mots de monsieur le procureur et la façon de les présenter. Ma cliente est dévastée par cette histoire et le tribunal doit aussi être là pour l'aider à traverser ce moment. Je trouve attristant de la voir pointée du doigt comme la responsable alors qu'elle va devoir porter le poids de la culpabilité toute sa vie. Aujourd'hui elle ne peut pas parler parce que c'est trop tôt et croyez-moi, c'est elle qui souffre le plus de ne pas savoir. » L'avocat fait ensuite part de son « effarement » face à la peine requise en prenant l'exemple d'une précédente affaire en Bretagne où les réquisitions avaient été bien moins élevées contre un homme qui téléphonait au moment du drame.

Après délibération, Ophélie est déclarée coupable d'homicide involontaire et condamnée à six mois de prison avec sursis et six mois de suspension de permis, plus 150 euros d'amende pour l'inobservation de l'arrêt absolu imposé par le panneau stop à une intersection de routes. Elle devra également régler 1 800 euros de frais de justice à la famille de la défunte en attendant le renvoi sur intérêts civils. « Je voudrais être morte à la place de cette dame », avait déclaré Ophélie lors de son audition devant les gendarmes.

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