« L’attestation de sortie ? J’oublie carrément »

À l’audience de comparution immédiate de Chalon-sur-Saône, jeudi 16 avril, un prévenu n’a pas d’avocat. « J’ai pas les moyens », répète-t-il au président qui se soucie de son droit à être défendu. « Mais je peux vous dire un truc, lui lance l’homme aux cheveux gris tout emmêlés. Je vis tout seul avec mon chien. C’est tout ce que je fais. »

Le 27 mars, à 11 h 28, la police municipale le contrôle et le verbalise parce qu’il n’a pas d’attestation d’autorisation de sortie dûment remplie et signée, avec lui. Le 28 mars à 21 h 30, idem. Le 30 mars à 16 h 24, derechef. Le 31 mars à 19 h 10, tout pareil. Le 1er avril rebelote, sur le boulevard de la République à Chalon-sur-Saône. Il est alors interpellé, puis déféré devant le procureur de la République qui lui fait entrevoir sa possible incarcération, d’autant plus aisément que ce monsieur, âgé de 51 ans, a un casier jonché de CEA (conduites sous l’empire de l’alcool) et de sanctions, comme autant de petits cadavres qui à chaque fois emportaient un lambeau de sa vie. C’est qu’à boire et à fumer ainsi (il a la voix et l’odeur âcre d’un tabagique confiné tout le temps, sauf quand il promène son chien) il a perdu sa santé.

Il est gris, des pieds à la tête, quoique sobre par ailleurs en cette occasion. De toute façon il ne boit presque plus : 2 l de bière chaque jour, « c’est pas beaucoup par rapport à avant, avant c’était 10 ». Toute chose ici-bas restant relative, le président ainsi que le procureur trouvent tout de même que 2 l, c’est beaucoup. Pourtant il a essayé d’arrêter, mais « ça passe pas », dit-il, comme il parlerait d’un eczéma persistant. Les juges, tour à tour, lui font un peu la morale. Que y'a pas grand-chose à penser ces temps qu’à faire son attestation avant de sortir, que d’abord pourquoi il sort, quand il sort, que quatre amendes à 135 euros, ça n’a pas suffi à lui faire imprimer la consigne ? Il répond qu’il n’a plus de revenus du tout (il était à l’ASS, il ne reçoit plus rien, Pôle emploi est fermé, il se croit radié mais ne sait pas). « J’ai plus rien. Ce qui m’inquiète, c’est de me retrouver à la rue. »

Il n’a pas d’avocat pour plaider une relaxe, comme l’un d’entre eux le fit, au tribunal de Rennes. Le procureur de la République considère que l’infraction est constituée, mais que « vous avez changé d’attitude, la prison n’est plus nécessaire, mais un suivi judiciaire s’impose ». Il requiert trois ou quatre mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire avec une obligation de soin (addictologie alcool). Le président demande au monsieur ce qu’il en pense. « Je pense que je peux y arriver. » Puis le prévenu lève la main, il a quelque chose à demander : « Vous pouvez me le marquer ? Parce que je vais oublier. » Il devra attendre, car le tribunal n’a pas encore délibéré. Pourquoi il sortait sans ce papier devenu obligatoire pour chaque citoyen, chaque jour ? « J’oublie carrément. J’ai de gros soucis, et comme je suis assez sensible… »

Cet homme s’est marginalisé au fil des ans. Il a vécu avec le système judiciaire de ses 26 à ses 43 ans. Alcoolique dès avant, et toujours dépendant, mais moins, confiné, bien avant que l’Etat français ne décrète l’état d’urgence sanitaire, dans une existence repliée sur elle-même mais dans un souci de paix. Pas de condamnation depuis 2010. Il est malade, « une maladie à cause de beaucoup de stress et de l’alcool ». Il se déplace avec une béquille. Dans ces conditions il ne travaille plus. Rétractée, sa vie sociale s’organise petitement, autour des sorties avec le chien, et voilà. Et voilà le pays subitement sens dessus dessous, aux prises avec des préoccupations dont il est trop éloigné sans doute pour penser que la formalité administrative imposée à chaque citoyen pourrait avoir du sens, alors qu’on sort son chien.

Le tribunal le déclare coupable et le condamne à 3 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de deux ans avec une obligation de soin pour l’alcool.

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