D'ordinaire à Clisson, le barouf provient des champs peuplés de métalleux. Le dimanche 29 mars, c'est vers le ciel qu'il fallait zieuter pour situer l'origine des nuisances. L'hélicoptère de la gendarmerie survolait la commune et ses environs à la recherche d'un homme. Dans la soirée, une octogénaire paniquée avait fait le 17 pour signaler la disparition de Jean-Louis, son fils âgé de 56 ans. Une alerte prise très au sérieux sachant que le quinquagénaire n'avait jamais découché depuis dix ans.
Jean-Louis est un vieux garçon qui a passé la dernière décennie à s'occuper de sa maman, dont la santé déclinante requiert une présence quotidienne. Avant ça, il a travaillé pendant vingt ans dans une fromagerie du Vignoble. Son père étant mort prématurément, et les échanges avec ses cinq soeurs se faisant rares, Jean-Louis a au fil du temps développé une relation exclusive avec sa mère. Le binôme vit de la petite retraite de la femme, et du potager. Vers 1 h 30 cette nuit-là, les gendarmes sont parvenus à retrouver la trace du disparu, qui marchait le long de la départementale 763. Jean-Louis a été directement conduit à la brigade puis entendu sous le régime de la garde à vue, pour tentative de meurtre.
Des faits rapidement requalifiés en violences avec arme et préméditation, qui lui vaut un jugement en comparution immédiate le lendemain. En se saisissant du dossier, le président a l'air partagé entre l'amusement et la perplexité. « Aucun antécédent aucune addiction », annonce-t-il, pour bien faire comprendre à l'assemblée que le prévenu détonne dans le box. « J'ai fait une très très grosse bêtise et bien plus que ça », entame Jean-Louis d'une voix fluette. De taille et de corpulence moyenne avec une légère calvitie, les yeux clairs, il porte une veste grise sur une chemise bleue déboutonnée selon la norme. Que ce soit sa dégaine, ses mots ou son attitude « particulièrement courtoise » lors du défèrement, rien ne colle avec le « lion sorti de sa cage » décrit après coup par Victoria, la victime collatérale de l'histoire. L'adolescente de 15 ans était sur le point de s'endormir à côté de son petit copain quand Jean-Louis a déboulé un peu avant minuit. Muni d'un couteau et d'une lance artisanale, il s'est introduit dans la caravane où dormait le couple et s'en est directement pris au garçon. Atteint à la clavicule et au torse, celui-ci est parvenu à esquiver les autres coups de lance puis à se saisir du couteau. « Dégage ou je te plante », a-t-il ensuite menacé, alors que les deux hommes étaient sortis de la caravane. Jean-Louis a détalé. Un départ précipité par la gueulante d'une voisine pensant assister à de nouvelles chamailleries entre le garçon et son petit-frère.
Ce garçon c'est Goulven, 15 ans et une carcasse à bien figurer dans la fosse au Hellfest. Il a passé la nuit et la matinée aux urgences dont il est ressorti avec 21 jours d'interruption totale de travail (ITT). On l'aurait bien gardé davantage mais il tenait à être présent pour le début de l'audience à 14 h. Sur le banc de la partie civile, en short et chemisette, il soupire et tape par moments sa grosse chaussure de randonnée sur le parquet. La pression n'est pas totalement redescendue. Son avocate demande un renvoi sur intérêts civils avec expertise et 1 500 euros de provisions. « Ça aurait pu se terminer très mal, heureusement qu'il avait la force de se défendre », glisse-t-elle. Tout avait pourtant bien commencé entre Jean-Louis et Goulven. Sans que l'on sache dans quelles conditions, ils se sont liés d'affection à l'automne 2019. « Rien de répréhensible dissipe le président. C'est une relation comparable à celle entre un oncle et son neveu. » À l'époque, le collégien traverse une période compliquée. Les querelles se multiplient à la maison et les résultats scolaires dévissent. Sa mère, qui l'a autorisé à investir la caravane installée dans le jardin, voit d'un bon œil cette amitié naissante porteuse de stabilité. La famille vivant à Mouzillon, Jean-Louis parcourt régulièrement les 6,4 kilomètres depuis Clisson pour rendre visite à Goulven. Un trajet effectué à pied car Jean-Louis n'a d'autres moyens de locomotion. En bon marcheur, cela lui prend un peu plus d'une heure.
Quand les gendarmes l'ont arrêté, il avait plus de 18 km dans les pattes. Il avait fait un premier trajet en fin d'après-midi pour proposer à Goulven de partager un diner, préparé « de bon cœur ». Après avoir essuyé un cinglant refus, Jean-Louis a rebroussé chemin. Six kilomètres de rumination à se demander comment sanctionner cette rebuffade. En rentrant, il s'est confectionné une lance à partir d'une barre métallique et a attrapé un couteau de cuisine avant de repartir pour un troisième voyage. « Ce qui s'est passé hier soir on a du mal à se l'imaginer analyse le procureur. Le coup de la lance je ne l'avais encore jamais vu, c'est totalement hallucinant. Je ne crois pas à la version de monsieur de simplement vouloir faire peur. Ce sont des faits ciblés, réfléchis, prémédités. »
« Monsieur ne comprend pas la moitié des questions et ne se comprend pas lui-même »
Le président interroge le prévenu sur ses intentions. « Je n'arrête pas de réfléchir à tout ça, je me comprends pas répond-t-il. Le matin j'étais énervé, il y avait eu des dégradations dans la rue, et puis de fil en aiguille... » Une réponse à côté de la plaque faisant écho aux déclarations de Jean-Louis en garde à vue. Alors que les gendarmes attendaient des réponses précises sur les faits, il a divagué sur ses envies de voyage et d'une vie moins stressante. Son avocat, qui s'adresse à Jean-Louis comme à un demeuré, s'engouffre. « Qui de nous fait tous ces kilomètres à pied en pleine nuit comme ça ? Personne. Monsieur ne comprend pas la moitié des questions et ne se comprend pas lui-même. A-t-on essayé de creuser sur cette personne ? Evidemment que non puisqu'il faut aller vite avec ce choix procédural une nouvelle fois très contestable. Aujourd'hui on va faire de l'abattage sans passer par une expertise, c'est dingue. »*
Victoria est conviée à la barre. Elle rembobine le réveil en sursaut, cet homme « en furie » qui fond vers le lit puis les « coups directs avec la lance. » Dans l'exiguïté du lieu, tentant tant bien que mal d'intervenir, elle a eu la cheville légèrement entaillée. Le retentissement est d'abord psychologique. « Aujourd'hui, à cause du stress, je perds des cheveux », soutient-t-elle. « Faut des preuves », marmonne alors Jean-Louis d'une voix tout à coup moins douce. Une réaction qui recentre enfin les débats sur sa jalousie, point de départ de l'affaire. Le procureur : « Ce dossier, ce n'est que ça. Un homme isolé qui s'est entiché d'un adolescent et n'a pas supporté qu'une autre personne vienne rompre une relation exclusive calquée sur celle entretenue avec sa mère. » Prolongeant l'analyse, le président fait état du climat devenu pesant dès que Goulven a rencontré Victoria. L'adolescent s'est progressivement éloigné de Jean-Louis, laissant son téléphone sonner dans le vide plusieurs dizaines de fois par jour. « Nous aurions très bien pu poursuivre monsieur pour harcèlement », informe le procureur. Excédé et ne sachant pas comment, du haut de ses 15 ans, se défaire de cette présence devenue oppressante, Goulven a fini par frapper Jean-Louis, quelques semaines auparavant, pour une histoire de bol de céréales renversé. « Il aurait dû dire définitivement stop après cet épisode », regrette l'avocate de la partie civile. Interrogé sur la véritable raison de son courroux, le prévenu murmure ces derniers mots : « C'est vrai que j'ai pas à être jaloux de lui. »
Le tribunal prononce une peine de six mois de prison, aménageable, plus 18 mois de sursis probatoire pendant deux ans. En plus de justifier d'un travail, par exemple en réglant administrativement son statut d'aidant familial, et de la poursuite de soins, Jean-Louis aura interdiction de paraitre à Mouzillon et de contacter les deux victimes. Il devra leur verser à chacun une provision de 800 euros en attendant le renvoi sur intérêts civils. L'interdiction de détenir une arme pendant cinq ans est également ordonnée. Jean-Louis répète des mercis en tendant ses poignets à l'escorte. Le procureur avait demandé une année ferme avec mandat de dépôt plus une année de sursis probatoire.