« Je suis victime de l'animateur de radio Maurice »

Sur le banc des prévenus, Samir attend son tour, impatient. Sa grosse moustache encadre des lèvres tirées vers le bas. Il a l'air de celui qui n'est pas content d'être là. Bras croisés sur le torse, veste militaire, regard noir, il grommelle régulièrement.

Aujourd'hui, la présidente du tribunal est particulièrement didactique. Elle prend la peine, pour chaque prévenu qu'elle condamne, d'expliquer le sens de sa décision et les raisons qui l'ont poussée à la prendre. Elle demande à celui qui se tient debout devant le micro, à côté de Samir : « Est-ce que vous voulez être jugé aujourd'hui, ou est-ce que vous voulez un peu plus de temps pour préparer votre défense ? »

Avant que le prévenu ne puisse répondre, c'est Samir qui se lève : « Je veux être jugé aujourd'hui, maintenant. » Un gendarme lui met la main sur l'épaule et l'oblige à s’asseoir. La présidente intervient : « Ce n'est pas votre tour, monsieur, mais je vous remercie de votre patience, vous allez passer bientôt. » Effectivement, quelques minutes plus tard, c'est au tour de Samir de faire face au micro.

Samir est né à Roubaix dans les années 1970. Il n'a pas de domicile, pas de ressources : « La vérité, madame, c'est que je dors dehors. » Pour manger et prendre une douche, il se rend chez Emmaüs. Hier, il devait avoir encore faim, puisqu'il se faisait attraper après avoir dérobé de la nourriture dans un supermarché.

La présidente lui pose la question qu'elle a déjà posée une dizaine de fois aujourd'hui : « Est-ce que vous voulez être jugé aujourd'hui, monsieur ? » Samir saute sur l'occasion : « Oui, madame. Je veux être jugé tout de suite. Immédiatement, madame. Maintenant, quoi. »

La juge observe Samir pendant quelques secondes, puis elle l'interroge calmement : « Monsieur, est-ce que vous avez un problème psychologique ? » L'homme, un peu bourru, semble effrayé par la question : « Non, non, non, non. J'ai été envoyé à Glacière, mais le magistrat-psychiatre a dit qu'il n'y avait pas de problème, que je pouvais retourner en garde à vue. Si je dois aller en prison pour des denrées alimentaires, j'irai, mais je ne retournerai pas à l'hôpital. »

La présidente dévoile au tribunal que le psychiatre, à Glacière, n'a pas pu interroger Samir, qui ne s'est pas laissé examiner. Elle explique au prévenu qu'en l'état, elle ne peut pas juger ce dossier, puisqu'il lui faut une expertise psychiatrique qui pourrait, éventuellement, influer sur la peine prononcée. Elle demande donc un renvoi, pour que Samir puisse voir un spécialiste.

« Je connais la formule magique pour redevenir un homme »

Quand il entend le mot psychiatre, Samir explose. Dans un court accès de fureur, il brise le micro installé devant lui, puis se retourne vivement et s'engage vers la sortie, derrière lui. Il est ceinturé par deux gendarmes qui le maintiennent face à la juge. Calmement, celle-ci tente de faire baisser la tension, et Samir redevient calme. Il explique : « Même invalide de mes jambes, je suis victime de l'animateur de radio Maurice. » Il part dans une longue logorrhée ininterrompue et incompréhensible sur les ondes radio, l'hôpital, la religion.

On comprend, au fur et à mesure de ses déclarations, qu'il ne fait pas la différence entre les magistrats et les médecins. Il se tourne vers son avocate et lui hurle : « Moi, je l'emmerde, elle. Comment vous voulez que je fasse confiance à des gens comme ça, qui ne me soignent même pas ? »

Il admet qu'on lui a diagnostiqué de graves troubles psychotiques, et qu'il a passé beaucoup de temps à l'hôpital psychiatrique. Son casier judiciaire comporte plus d'une dizaine de mentions pour des délits divers.

La présidente explique à nouveau au prévenu qu'il faut une expertise psychiatrique, mais elle masque cette fois son propos : il ne s'agit pas vraiment de dire qu'il est fou, mais simplement de suivre la procédure judiciaire. La manœuvre paraît fonctionner, Samir semble peu à peu rassuré, il se lance à nouveau dans un long monologue, expliquant : « Je connais la formule magique pour redevenir un homme. Mais, malheureusement, madame, je suis malheureux. »

Une expertise psychiatrique est ordonnée et Samir peut quitter la salle. Au moment où il franchit la porte pour retourner au dépôt, la présidente se reprend : elle a oublié d'entendre le procureur et l'avocate. Samir est ramené, encadré par deux gendarmes.

Les deux juristes parlent très rapidement, l'avocate rappelle qu'il s'agit d'un simple vol de nourriture, un geste sans gravité, ce que personne ne conteste. Peu importe, puisque tout le monde est à peu près d'accord : Samir doit voir un psychiatre rapidement, c'est le plus important.

Après avoir écouté les deux affaires suivantes, les juges reviennent dans la salle. Ils ont délibéré pendant moins de cinq minutes et sont revenus immédiatement, prévenus par les gendarmes que Samir était en train de s'agiter dangereusement.

Le dossier de Samir est renvoyé au 8 juin. Pendant sa détention, il sera examiné par un psychiatre qui décidera de sa responsabilité pénale et des mesures à prendre. Avant de repartir, encadré par les gendarmes, le prévenu s'adresse à la juge : « Mais, ça veut dire que je vais aller en prison ? – Oui. – Ah, bah, on y va alors », lance-t-il presque joyeusement.

Il se retourne une dernière fois et ses yeux balayent la pièce, perdus. Il se lance à nouveau dans une longue litanie sur une blessure qu'il aurait au pied droit. Il poursuit : « Parce qu'à l'hôpital, ils veulent me crever les yeux, parce que je suis un fils, le fils sorti des bourses d'un dieu. » Il franchit la porte derrière lui, bien tenu par son escorte : « Au revoir, alors. Et joyeux Noël ! »

Pour sa défense, c'est vrai qu'il fait froid, pour une fin de mois d'avril.

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