« Je préfère fumer que tuer une personne ! »

« Je préfère fumer que tuer une personne ! »

Christophe, c'est le cauchemar d'une défense. Le prévenu qui clame, au milieu de son interrogatoire, avoir « tarté » sa copine, alors qu'il ne comparait pas du tout pour des faits de violences conjugales. Et qu'elle l'a bien mérité, encore. Et gare à la présidente qui ouvre la bouche pour répliquer : « Madame, il vous trompe pas votre mari ! Bon, alors ! »

À ce comportement, on peut trouver des explications sociologiques. Christophe a cessé de voir son père quand celui-ci a été incarcéré pour avoir battu sa mère. Puis il a perdu sa mère, de maladie. Il avait 14 ans. Adolescence en foyer, il s'est construit seul, mal. On lui a détecté des troubles du comportement, mais il a rejeté le traitement. « Prendre des cachets toute sa vie, c'est pas une vie ! » Il a trouvé des subterfuges. Alcool, stups. La voie de la délinquance semblait tracée. À 19 ans, première condamnation pour vol.

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29 ans, 25 condamnations. (Illustration : Mathilde Tournier)

Et le revoilà, à un mois de ses 30 ans, en passe de collecter une vingt-sixième condamnation, cette fois pour extorsion. Comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Périgueux, dix jours à peine après sa sortie de détention. Regard sombre, engoncé dans une veste de survet' noire qui, avec son visage émacié et le teint blafard de celui qui vient de passer deux ans à l'ombre, lui donnent des airs de croque-mort.

À sa sortie de prison, Christophe a donc retrouvé sa copine, s’est rendu compte qu’elle ne l’avait pas attendu, s’est énervé, s’est fait mettre dehors et a retrouvé ses anciennes fréquentations. Un jeudi soir, on le retrouve dans le centre-ville de Périgueux avec un « collègue », comme il dit. Les deux garçons ont bu. Ils s'embrouillent, diront-ils en garde à vue, avec des Albanais de leur connaissance, pour une dette dont ils tairont la cause. Puis, de colère ou de bêtise, ils défoncent la porte d'appartement voisine. Celle d'un jeune homme qui passait sa soirée, tranquille devant la télé, avec une amie.

S’ensuit une scène d'agression gratuite. « Vous lui avez réclamé 20 euros, il vous a dit qu'il ne les avait pas, et comme vous étiez menaçant il vous a suivi à l'extérieur pour aller retirer », lit la présidente du tribunal. Les caméras de vidéosurveillance du distributeur captent tout ce qui suit : deux retraits, effectués pour l'un (200 euros) par l'acolyte de Christophe, pour l'autre (100 euros) par Christophe lui-même. Les deux jeunes hommes seront arrêtés à proximité, peu de temps après avoir relâché leur victime, avec l'intégralité de la somme extorquée. Détention provisoire pour chacun. La liberté de Christophe aura duré six jours.

Le week-end passe et, le lundi, on retrouve Christophe seul dans le box. Au cours du week-end, son « collègue » en a profité pour se faire la malle, à la faveur d'un transfert à l'hôpital.

« Je voulais juste faire la fête »

Alors Christophe ne se prive pas de le charger, cet acolyte absent. À l'entendre, c'est l’autre qui l'a entraîné dans ce plan foireux. « Je sais pas pourquoi je l'ai suivi ! » lâche-t-il à la présidente, mâchoire crispée. Lui, ce soir-là, il voulait « juste faire la fête ». La fête, justement, et cet important taux d'alcool qu'on a retrouvé dans son sang… « C'est pour m'enlever les soucis, madame. » L'enquête sociale rapide menée juste avant l'audience fait aussi état d'une addiction aux stupéfiants. « Bah, je préfère fumer que tuer une personne ! »

L'agressivité ne lâche jamais sa voix. Même quand il se défend d'avoir « menacé » la victime, jurant qu'il a, au contraire, tenté de calmer les choses. D'un geste heurté, il désigne le jeune homme assis au premier rang : « J'vois pas pourquoi je vais faire du mal à cette personne que je connais même pas ! »

La présidente fait signe au jeune homme du premier rang de s'avancer à la barre. Il a la tête rentrée dans les épaules, comme pour se faire tout petit. Il évite soigneusement de regarder vers la gauche, en direction du box. Il n'a pas pris d'avocat, demande ce que veut dire partie civile, peine à chiffrer son préjudice, au hasard, 500 euros pour sa porte défoncée. La présidente s'enquiert du retentissement psychologique de l'agression dont il a été victime. « Je vais pas vous mentir, je dors mal la nuit », dit-il timidement. Elle demande aussi quelle a été l'attitude de l'homme dans le box à son égard. « Il a essayé de calmer les choses », acquiesce-t-il, sans un regard sur sa gauche.

Pas de quoi ébranler, toutefois, la représentante du parquet. Pour celle qui a renvoyé Christophe en comparution immédiate, le comportement désastreux du prévenu à l'audience est du pain bénit. Si la victime prend sa défense, c'est forcément qu'elle est intimidée, malgré la vitre de plexiglas qui la sépare de son agresseur. « Son rôle est actif ! martèle-t-elle en montant dans les aigus. La vidéosurveillance du distributeur montre bien qu'il ne se tient pas à l'écart ! »

Puis elle brandit les 25 condamnations du prévenu et cette sortie de prison toute fraîche. « Il vient de passer deux ans en prison et son projet à la sortie, c'est quoi ? Donner des tartes à sa copine parce qu'elle ne se tient pas bien et boire de l'alcool pour oublier ! » raille-t-elle. Amplement suffisant pour réclamer une nouvelle peine ferme, entre neuf et douze mois, applicable illico.

« Je reviendrai jamais chez toi ! »

« La prison, on voit bien que ça ne sert à rien », rétorque la jeune avocate de Christophe. Vient là tout le débat sur le sens de la peine. Oui, le cas de Christophe montre avec éclat l'échec de la mission de réinsertion que se donne la prison. Mais si l'on prend l'incarcération pour ce qu'elle est à l'origine, c'est-à-dire éloigner de la société un individu dangereux, alors Christophe a montré un profil suffisamment inquiétant pour qu'on le renvoie à l'ombre. Encore et encore. Faute d'alternative.

Il n'y a guère de suspense sur l'issue de l'audience. Les dés sont jetés, ne passez pas par la case nouveau départ, allez directement en prison. Mais l'avocate de Christophe, consciencieusement, joue son rôle. « Il parle avec ses tripes, ses nerfs, tente-t-elle d'expliquer, parce qu'il enrage d'être là pour ce qu'il n'a pas fait. Il s'est laissé entraîner. » Elle revient sur ce parcours chaotique et cet engrenage qui n'a pas trouvé de frein. Et plaide une « sanction adaptée ».

À la fin de sa plaidoirie, la présidente demande à Christophe s'il a quelque chose à ajouter. « Je reviendrai jamais chez toi », lance-t-il à la victime, sur un ton qui pourrait vouloir exprimer l'inverse. « Monsieur, lui rappelle la présidente, c'est au tribunal que vous vous adressez. »

« Vous venez ici tous les jours ! »

Le tribunal se retire pour délibérer et, dans l'attente, deux garçons en survêtement se glissent dans la salle d'audience. La procureure leur jette un œil depuis son pupitre. « Vous venez ici tous les jours !, lâche-t-elle à l'un d'eux. – Cette fois, c'est pas pour moi », rétorque le jeune homme en désignant le box. Ils font des signes à Christophe.

La sentence tombe. Plus lourde que les réquisitions du parquet. Un an ferme avec maintien en détention. Plus six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligation de soins, d'indemniser la victime et interdiction de se trouver en contact avec elle. Christophe a un geste d'humeur, fait un signe à ses copains et se laisse entraîner vers les geôles.

Le jeune homme au premier rang se déplie de son banc et quitte le prétoire. L'audience sur intérêts civils a été fixée à une date ultérieure. Dans un bruissement, les deux amis de Christophe se lèvent à leur tour et le suivent de près.

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