« Je ne suis pas le juge aux affaires familiales » (3/5)

La 24e chambre du tribunal correctionnel de Paris sert à juger les affaires de violences conjugales. C'est un tribunal pénal qui juge des délits, en l’occurrence, des violences. Le rôle de son juge, contrairement à celui des affaires familiales, n'est pas de prononcer un divorce ou de trancher un litige financier.

Yannick s'avance à la barre. C'est un homme de 46 ans, avec les cheveux blonds bouclés, habillé de manière chic et décontractée, en jean et veste de costume, ce qui colle bien avec son métier de directeur de la photographie dans une société de spectacle. Elisabeth, simplement vêtue d'une chemise à carreaux rouge et noir, ne détonne pas face à son ex-compagnon. Ils sont bien assortis.

« Alors, nous sommes le 30 novembre 2017 quand la police intervient à votre domicile pour un différend familial », entame le juge. Puis, il se reprend et plonge ses yeux dans ceux du prévenu : « On va commencer par une question simple : est-ce que vous reconnaissez les faits. »

Yannick, d'une petite voix, répond : « Oui. Je ne nie pas l'avoir frappée, mais je ne m'en souviens plus. » Le 30 novembre, d'après Elisabeth, Yannick est rentré éméché d'une soirée, vers 3 h du matin. Les deux ex-compagnons, déjà séparés à cette époque, ont commencé à se disputer. Elisabeth se fait alors tirer du lit par les cheveux et reçoit un coup de poing dans la bouche qui la laisse avec quatre jours d'interruption totale de travail.

« C'était la première fois qu'il vous frappait, Madame ? » demande le juge. « Non. Il est violent depuis trois ans, quand il est alcoolisé. Il veut se soigner. D'ailleurs, le jour même, il avait une convocation à l'hôpital Bichat, pour arrêter l'alcool, mais il n'y a pas été. Après… C'est triste comme histoire. »

« Elle a raison sur ce qu'elle dit, je ne le conteste pas », reconnaît Yannick. Pour lui, le problème n'est pas vraiment là. Le problème c'est que, depuis le 30 novembre 2017, il dort, comme il dit « à droite et à gauche », notamment chez ses parents, parce que le juge lui a interdit de revoir son ex-compagne jusqu'au procès. Elisabeth a aménagé chez lui il y a cinq ans. À cette époque, il était seul sur le bail mais, depuis, ils sont deux. Yannick voudrait bien réintégrer ce qu'il considère être son appartement. En clair, il voudrait bien que le juge ordonne à son ex-compagne de quitter les lieux. « Vous comprenez, Monsieur le juge ? »

Monsieur le juge comprend bien, et il laisse Yannick faire sa démonstration, sans l'interrompre. Il se borne, une fois l'explication terminée, à expliquer le rôle du tribunal correctionnel, qui n'a pas à juger à qui appartient quoi. « Ça, c'est le rôle du juge aux affaires familiales. » Yannick, un peu embêté, se rassoit sur son banc pour écouter l'avocate d'Elisabeth.

« Je souhaite activement réintégrer ce logement le plus vite possible »

L'avocate, dans sa plaidoirie, se borne à expliquer les demandes financières de sa cliente : 1 276 euros de préjudice économique, lié, pour une petite partie, à son absence de revenus pendant les quatre jours pendant lesquels elle n'a pas pu se rendre au travail et, surtout, la part du loyer que Yannick n'a pas payée pendant presque deux mois, puisqu'il n'habitait plus dans l'appartement. Elle demande également 2 000 euros de préjudice moral.

Le procureur, pour ces « faits extrêmement simples corroborés par des déclarations concordantes », demande, au vu du casier judiciaire inexistant de Yannick, une peine d'avertissement de quatre mois de sursis : « Ce qui est important, pour Monsieur, c'est de comprendre que son comportement n'est pas acceptable, qu'il ne s'agit pas de petits faits, mais de violences graves. »

En fait de circonstances atténuantes, quand l'avocate de Yannick commence à plaider, c'est une tempête de feu qui s'abat sur les épaules d'Elisabeth, comme s'il s'agissait de solder un divorce : « J'aimerais prouver l’agressivité de Madame. »

Pour commencer, l'avocate s'étonne de la présence d'Elisabeth dans cet appartement commun, le soir des faits : « On est dans un contexte de séparation, ces deux-là étaient déjà séparés depuis quelques jours, et pourtant, Madame ne part pas, elle reste là. Si elle veut vraiment se séparer, qu'elle quitte les lieux ! Je ne comprends pas. Il y a quand même, de sa part, de la provocation. »

C'est ensuite le passé d'Elisabeth qui est passé au crible et, notamment, le fait qu'elle ait été alcoolique - c'est d'ailleurs dans un contexte de fêtes permanentes qu'elle a rencontré Yannick. « Elle vient donner des leçons, mais elle est dans une démarche de provocation et d'alcoolisation constante. » Elisabeth, elle, jure qu'elle est sobre depuis trois ans.

Parlant du préjudice de la partie civile, elle évoque celui de son client : « Il y a un préjudice financier, moral, familial. Il a assez payé cette altercation. Dans la société actuelle, c'est tellement confortable d'être victime de violence conjugale. » La fin de la plaidoirie de l'avocate permet de mieux saisir l'enjeu, du moins aux yeux de son client, de cette audience : « Il faut arrêter la victimisation à l’extrême. J'entends que Madame a fait une demande de relogement d'urgence à la mairie. Tant mieux pour elle, si elle profite de cette situation. Mais je voudrais qu'aujourd'hui, Madame s'engage, devant votre tribunal, à quitter le logement aujourd'hui. »

Le juge, après avoir un peu écarquillé les yeux, pendant que la partie civile baissait la tête, se borne à répéter : « Je ne suis pas juge aux affaires familiales. Pour le logement, vous verrez ça dans une autre audience. »

Après quelques minutes de délibérés, Yannick est reconnu coupable de violences et condamné à trois mois d'emprisonnement assortis du sursis, 252 euros de réparation pour le préjudice économique et 300 euros pour le préjudice moral.

Quand le juge lui avait demandé, juste avant le délibéré, s'il avait quelque chose à ajouter, Yannick avait simplement répondu : « Je souhaite activement réintégrer ce logement le plus vite possible. » Le juge,dans un soupir, avait répété, une fois de plus, qu'il n'était pas juge aux affaires familiales.

(La suite de cette série consacrée aux violences conjugales est disponible ici : GHOST_URL/votre-fille-va-comprendre-que-cest-normal-pour-une-femme-de-se-faire-frapper-par-son-mari/ )

Afficher les commentaires