« Je ne sais pas s’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail »

Alors qu'il était inconnu de la justice, Éric, 49 ans, comparaît pour la seconde fois en 2018 devant le tribunal correctionnel de Nantes. Au printemps, il avait été poursuivi pour escroquerie, car il avait vendu sur Le Bon Coin et à 1 200 euros, deux paquets de spaghetti en lieu et place de la lunette de visée présentée dans l'annonce. 8 000 euros de dettes et un fichage à la Banque de France : « J’étais en difficulté financière et j’ai eu cette malheureuse idée », avait simplement indiqué Éric au tribunal. Il avait donné son numéro de téléphone et son véritable nom, et l'enquête fut simple comme un coup de fil. « Nous ne sommes pas sur une escroquerie avec un niveau de malice important », avait constaté son avocat. 35 heures de travaux d'intérêt général lui avait donné le tribunal.

Ce 17 septembre, l'arme n'est pas fictive : Eric est prévenu d'avoir acquis et détenu un Glock 17. Le 21 avril 2016, les douanes ont intercepté un colis en provenance du Texas et à destination de son domicile, contenant la culasse du pistolet. Lors de la perquisition de son appartement, les enquêteurs ont découvert la seconde partie de l'arme. Plus une autre arme de catégorie B et plusieurs dizaines de munitions de différents calibres – sans autorisation. « Je reconnais que j’ai commis un délit », lâche le prévenu, penaud. De petite taille, bien portant, Éric a le crâne légèrement dégarni et porte des lunettes. Il est habillé de la même manière que lors de sa première comparution : chemisette, short en jean et banane autour de la taille. Seules les chaussures, une paire de air max bleu vif dernier cri, ont changé. Il enchaîne d’un ton calme : « C’était une acquisition déraisonnable. Depuis l’adolescence, avec les séries et le cinéma, j’ai une sorte de fascination pour les armes. »

Durant l’instruction, il avait évoqué une sorte de lubie. « Je comprends le côté fascination de l’objet, moins celui de détenir toutes ces munitions », s’inquiète le président. L’avocat d’Éric répond pour lui : « C’est une collection malsaine, certainement, illégale forcément. Mais ce n’est pas autre chose. Il n’y jamais eu un quelconque usage de prévu. » À l’observer, presque tremblant à la barre, c’est vrai qu’on imagine mal Éric aller braquer la boulangère. D’un naturel timide, sa vie sociale s’est réduite à peau de chagrin depuis la fin de son dernier emploi en 2014. Il enseignait l’anglais en tant que contractuel. Sans diplôme à la fin de sa scolarité, Éric s’est progressivement fait une place sur le marché du travail, entre bilans de compétence et formation continue. Plutôt à l’aise avec l’outil informatique – ses achats ont été effectués sur le darknet – il se voit désormais un avenir dans les ressources humaines. « Un secteur qui demande une certaine aisance dans la communication, pas votre point fort, remarque le président. – Je ne suis pas réservé avec tout le monde », rectifie Éric.

Affairé jusqu’ici sur son portable, le procureur se lève et l’interpelle. « Vous ne travaillez plus depuis quatre ans et vous trouvez le moyen d’acheter des armes sur internet pour un montant qui dépasse les 1 000 euros ? » Le prévenu encaisse. Il explique qu’il a dû emprunter à sa mère pour passer commande. « Dieu merci, j’ai réussi à la rembourser en rachetant le montant dépensé en bitcoin », ajoute-t-il. Remonté, le procureur le tance ensuite sur sa recherche d’emploi, qu’il imagine poussive. Balbutiements d’Éric. Le représentant du parquet se lâche : « Je ne sais pas s’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi, comme on l’entend ces jours-ci, mais force est de constater que vous préférez vivre du RSA. L’État vous subventionne en quelque sorte. » 20 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve sont requis ainsi qu’une amende de 4 000 euros. Des réquisitions « paradoxales » selon l’avocat de la défense. Précisant que « le RSA n’est pas une subvention, mais un minimum vital », celui-ci rappelle que son client est éligible au sursis simple. Une proposition entendue par le tribunal, qui condamne Eric à huit mois de prison avec sursis, et échappe ainsi à l’obligation de travail contenue en général dans la mise à l’épreuve. Il va pouvoir continuer son cheminement vers les ressources humaines, à son rythme, sans la contrainte de devoir sauter sur le premier job. Interrogé lors de l’affaire d’escroquerie sur sa recherche d’emploi via l’intérim, Éric avait de toute façon déclaré : « C’est pas trop mon truc. »

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