Cette chronique a été intialement publiée dans la revue Sang-froid.
Khaled vient de passer un mois en détention provisoire. « Madame le juge, je… – Silence ! Je résume les faits : le 29 mai, il est 11 h, vous vous approchez devant le 36, quai des Orfèvres. Vous gesticulez énormément, faites des gestes brusques, soulevez votre tee-shirt et criez : "Je vous baise tous, je vais tout faire sauter, je vais vous baiser, vive Daech." » L’hurluberlu revient trois fois devant les policiers en faction, qui dégainent, et le voilà finalement déféré pour injures, menaces et apologie du terrorisme.
Khaled est incohérent, encore aujourd’hui dans le box. Petit homme SDF de 34 ans, la bouche tordue et le regard vague et tombant, il s’exprime par hoquets plaintifs : « Je n’ai pas de femme, pas de travail, pas de vie, je suis malade et donc je suis en colère. » La présidente demande : « Contre quoi ? » Il répète sa complainte. La magistrate poursuit : « Et pourquoi le 36 ? – Je sais pas, je passais par là. »
Khaled est toujours comme ça, vitupérant, instable et colérique. « Mes amis sont habitués, ils me connaissent. » Des troubles psychologiques chroniques en sont la cause, il se sent persécuté et voit tout en noir. Il n’est pas sous tutelle, mais a fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Le rapport rédigé pour la présente affaire conclut : « Intolérance à la frustration, déficit de contrôle pulsionnel, impulsivité, tempérament colérique. » Cela relève du trouble de la personnalité, pas de la pathologie mentale. La présidente : « Quelque chose à ajouter ? – Je sais pas, Monsieur le juge. – Monsieur ? Intéressant. Je peux vous appeler mademoiselle ? »
Khaled a douze condamnations au casier et son comportement en prison l’a conduit à l’isolement. Le procureur raisonne : « On a l’impression qu’il est ailleurs sans forcément être ailleurs. » Traduction : il a l’air fêlé, mais la loi nous autorise à le juger, donc il requiert six mois avec mandat de dépôt. La défense le contredit : « Son incohérence empêche la structuration du discours propre à faire l’apologie du terrorisme. » La présidente expédie : « Quelque chose à ajouter ? – J’aimerais un sursis, s’il-vous-plaît. – Quel sursis ? Vous n’êtes plus accessible au sursis. » Quatre mois de prison pour Khaled.