« Je n’ai jamais été aussi prêt à mourir »

« Je n’ai jamais été aussi prêt à mourir »

Benoît Roussillon est en prison depuis plus de trois ans. « La première année, j’étais très énervé, puis j’ai trouvé ma place avec la religion. Mais il y a eu beaucoup d’étapes, j’ai dû me replonger dans mon passé, ça n’a pas été facile. J’ai tenu des cahiers où je crachais ma haine. J’ai eu une enfance pas super super, ça fait aussi ce que je suis devenu. Ça a été long, mais j’ai mis le doigt sur des choses, ça n’a pas été facile. »

Benoît Roussillon est parti faire le djihad à 19 ans. La 16e chambre correctionnelle, à Paris, le juge ainsi que quatre autres prévenus pour association de malfaiteurs terroriste. Ils auraient participé à une filière d’acheminement de djihadistes, en Irak et en Syrie. C’est la « filière de Nîmes ». Il est interrogé au deuxième jour du procès, mardi 19 septembre 2017.

Très tôt, en classe de 3e, Benoît Roussillon s’est converti à l’islam, « pour faire comme les autres », ceux qui partageaient son quotidien dans les quartiers défavorisés de Nîmes et de ses alentours. « Car les musulmans sont craints et respectés », dit-il sur procès verbal, et qu’il souhaitait lui aussi « être respecté ». Son père, ancien parachutiste qui tourne en boucle sur des thèmes identitaires, croit-on comprendre, en prit ombrage, et cessa totalement le peu d’efforts qu’il fit jusqu’alors pour l’éducation de son fils, après que la maman mourut d’un cancer quand Benoît était bébé. En réalité, les seules figures maternelles de Benoît résident en sa grand-mère et sa tante, ce qui fit que très jeune Benoît Roussillon entra en délinquance, alors qu’il vivait dans la rue, puis en foyer dans une ZUP nîmoise, bref, qu’il clapotait misérablement dans ce margouillis, où la violence le disputait à la misère.

De cette ambiance, émergeait une idéologie faite d’un islam informe et d'un complotisme béat, dont se parent, pour se donner de l’épaisseur, les tout petits délinquants. La violence, en Benoît, croît sans cesse. Il étudie l’islam avec des « quiétistes », mais « ça ne me plaisait pas, j’étais jeune et fougueux ». Il rencontre Axel Baeza, son « modèle », mort depuis sur le front syrien. Il cesse ses trafics de drogue et se radicalise, au contact de ce gourou qui lui enseigne sa conception guerrière. Il évolue à ses côtés et fréquente d’autres délinquants radicalisés. Ses intentions sont guerrières : « [Parce que] je viens pour Allah et pour atteindre le paradis. Mais je viens aussi pour frapper quoi tu vois […] j'attends de taper, j'attends de taper un peu et après... », dit-il à l’un de ses comparses sur une écoute. À Fatiha, la jeune fille qu’il fréquente, il explique : « On est dans un pays de kouffars avec lequel on n’a pas de pacte de non-agression, donc on a le droit de voler tout ce qu’on veut. »

La présidente : « Est-ce que vous êtes, à ce moment, dans une conception radicale ?

Bien sûr, la violence, c’est ce qui m’intéresse. En plus, j’étais déjà délinquant.

Vous pouvez développer ?

J’ai toujours été intéressé par la violence. Avant, déjà, ce qui m’intéressait, c’était de faire la guerre. Moi, ce que je voulais, c’était le chaos. »

C’est dans cette disposition d’esprit qu’il apprend, courant 2013, qu’Axel Baeza a rejoint la Syrie. Il le contacte par Facebook, et Baeza lui propose de le rejoindre.
Dans cette perspective, il discute avec son amie : « Fatiha, j’ai peur d’aimer trop le combat et de tomber trop tôt, et de te laisser seul.

Tu préfèreras le combat, quitte à me laisse seule ?

Oh oui, Fatiha, Dieu m’en soit témoin, je suis prêt pour le combat.

Tu es prêt à fréquenter des corps en putréfaction, à voir tous ces morts, tout ce sang ?

Je n’ai jamais été aussi prêt à mourir, et j’ai hâte d’être là-bas et de faire ce que tu as cité. »

La présidente finit de lire l’écoute, puis lève la tête vers Benoît : « Que se passe-t-il dans la tête d’un garçon de 19 ans, pour qu’il soit à ce point sûr de vouloir tout ça, le combat, la mort ? »

Benoît Roussillon ne sait que répondre.

Benoît Roussillon, debout à droite dans le box, barbe courte, cheveux en catogan, survêtement sombre, comparaît aux côtés de 4 autres prévenus. Deux avocats sont assis au premier plan, devant le box.

Benoît Roussillon, debout à droite dans le box. (Illustration : Christelle Goth)

Il part en Syrie en juillet 2013, via la Belgique et la Turquie. C’est le ramadan, une trêve est respectée. Benoît raconte au tribunal avoir fait 10 jours de prison, en application de la charia, pour avoir été surpris en train de fumer. « J’avais encore une mentalité très délinquante, je refusais l’ordre et l’autorité. ISIS ? On ne connaissait pas, ou à tout le moins, on pensait que c’était affilié à Al-Qaïda. » Une photo le montre ceint d’une charge d’explosif – « c’était celle de Baeza » – et une Kalachnikov dans les bras. « Dans ma tête, j’étais candidat à ça. » Le procureur lui adresse une question tactique : « On a un peu de mal à croire que nous n’étiez pas au combat.

Si, j’y étais.

Et qu'est-ce que vous avez fait ?

Je n'ai pas pris part aux combats, ça a duré une journée, pas plus. L'Armée syrienne libre, ils sont vite partis. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, il y avait des bombardements, j'ai un peu perdu de ma hargne.

J'ai un peu de mal à imaginer que vous ayez pu vous soustraire aux combats », conclut-il.

La présidente reprend la parole : « Quel était l'état d'esprit des personnes sur place ?

Les gens, ce qu'ils voulaient, c'était la charia.

Les gens ?

Les combattants.

Ah ! Et les Syriens ? Ça ne se fait pas trop d'aller chez les gens et de ne pas leur demander ce qu'ils veulent.

Mais moi je m'en fichais !

Vous avez le mérite de la franchise. »

Il rentre en France en septembre 2013. Le 28 novembre, sur une écoute, il dit vouloir repartir en Syrie. C’est sa sœur qui est à l’autre bout du fil. Elle essaie de le raisonner : « Pourquoi ne pars-tu pas dans un pays musulman calme, comme la Turquie ? – La Turquie c’est pas des musulmans, c’est des pédés ! » Benoît veut la guerre. « Quand je suis revenu de Syrie, j’aurais pu tuer une centaine de mécréants », confirme-t-il au tribunal.

« Moi, me faire exploser, attention, je suis un adepte »

Il converse beaucoup avec Nayla, sa (nouvelle) petite amie. Il lui expose ses projets de mort : « Tous les kouffars, qu'ils soient de notre famille ou pas, faut tous les buter », puis « moi, je te jure, j'ai une bombe autour de la taille, je me fais péter un (inaudible), je vois mon père, ma sœur, ma grand-mère, tout le monde, je lui dis, d'abord, je leur dis coucou, je leur dis, vous allez mourir vous allez brûler, je les regarde comme ça, je leur dis vous êtes tous morts. »

Il lui conte ses exploits : « Moi, quand j'étais là-bas, et tout, déjà, autour de la taille, j'avais une ceinture explosive de deux kilos... Et sur une photo, je ne sais pas si tu as remarqué, tu as vu ma photo de couverture, et bien tu regarderas bien dans cette couverture, tu verras un fil bleu passer c'était le fil de ma bombe qui était relié à mon épaule ». Il dit : « Moi, me faire exploser, attention, je suis un adepte. En fait, je n’ai qu’un seul rêve dans ma vie, me faire péter dans un train, qu’il y ait des bras et des jambes partout. »

Le prévenu réagit : « C’est du blabla !

À quel moment c’est du blabla et c’est pas du blabla ? Dans cette salle, il y a des gens qui sont passés, qui ont dit que tout cela, c’était du passé. Et finalement, ils ont fait des choses. Elle est où, la limite ?

C’est du baratin, pas une seule seconde je n’ai pensé pouvoir l’inciter à passer à l’acte. » Il fanfaronne pour s’attirer les faveur de Nayla. Ce n’est pas un futur terroriste, mais un vulgaire hâbleur de quartier, sous-entend-il. « Je continue, dit la présidente. Là, vous parlez de décapitation. Vous lui dites : “Tu vas voir ! Shlack !“, et vous riez. C’est un peu glaçant, Monsieur.

Je comprends qu’on ait peur de moi, c’est pour ça qu’on est venu m’arrêter », le 17 juin 2014. « Mais j’étais dans une psychose », dit-il en se prenant la tête.

Oui, mais il y a des gens qui sont passés à l’acte.

Quand on parle, comme ça, on est plongé dans une bulle. Ça remplace toutes les autres choses, les sorties, les drogues. Facebook, c’est huit heures par jour. Et les vidéos, les images. » Sur son ordinateur, des traces de consultation de vidéos, de propagande djihadistes, en quantités invraisemblables. Un drapeau de l’EI, des écrits de combat.

À ses côtés, dans le box, un coprévenu semble amusé. Mohamed Skalab, un joufflu en survêtement bleu qui avait indiqué que Benoît Roussillon était un « fou dangereux », va bientôt être interrogé. Les faits semblent solidement établis pour le jeune Roussillon, par les écoutes, par sa présence sur les zones de combat et par sa franchise à l’audience. Un assesseur lui demande sur un ton crédule : « Puisque vous dites ne pas avoir combattu là-bas, à quoi vous avez servi ?

À rien. J’ai servi à rien. »

Il est condamné, vendredi 22 septembre, à huit ans d’emprisonnement.

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