« Je les aime pas, c'est des grosses merdes »

À l'entrée de la salle des comparutions immédiates, ce 6 octobre, Léa discute avec sa curatrice. Un brin d'inquiétude se lit sur sa trombine. La cloche vient de tinter et son avocat est à la bourre. Il débarque au moment où la présidente annonce l'ordre de passage des dossiers. « Je vais pas attendre ici toute l'aprem », bougonne Léa en apprenant qu'elle ne tient pas la pole position. Une petite heure et une condamnation plus tard, l'impatience plutôt bien contenue, la voilà qui se lève et s'avance clopin-clopant vers le pupitre. Elle va devoir s'expliquer sur deux procédures initialement renvoyées, des violences et des outrages. Âgée de 24 ans, Léa a des cheveux châtain clair qui courent jusqu'aux lombaires et de grands yeux noirs. Elle porte un large t-shirt rouge, un pantacourt et une vieille paire de tennis blanches, sans lacets. Ce qui marque chez elle c'est d'abord sa petite taille. 155 cm à tout casser. De plus près, le regard bute sur les épaisses cicatrices qui recouvrent ses avant-bras. Le 31 mars 2020, Léa a explosé aux urgences psychiatriques du centre hospitalier universitaire de Nantes. Irritée par le refus du personnel de lui donner le médicament espéré, elle a commencé par attaquer les points de suture de ses avant-bras scarifiés avec une clé avant de se cogner la tête contre les murs. Des agents de sécurité sont intervenus pour aider les soignants qui peinaient à la calmer. En se débattant, Léa a mordu le premier et tordu le doigt du second, tout en menaçant de les crever. Les deux vigiles se sont constitués partie civile et demandent des dommages et intérêts.

« Comme ce n'était pas très clair lors de votre audition, pouvez-vous nous dire aujourd'hui si ce sont des faits que vous reconnaissez », questionne la présidente. Léa répond par l'affirmative mais ne peut s'empêcher d'y ajouter une pincée d'épices. « Je veux bien avouer mais combien de fois ils m'ont frappé en dehors des caméras ? Je les aime pas, c'est des grosses merdes », balance-t-elle en triturant le micro. Connaissant ses difficultés, la juge laisse couler. Elle préfère remonter le fil d'une existence agitée dont son corps s'est fait le témoin. « J'ai des vis dans la colonne et j'ai des vis dans le bassin », claironne Léa quand on l'interroge sur sa tentative de suicide qui l'avait vu sauter du quatrième, alors qu'elle était encore mineure. Le 31 mars, elle n'avait d'autre projet en escaladant le muret du CHU. Rattrapée à temps, à plus de 6 mètres de haut, elle avait terminé la nuit sur un brancard, dans un box. « Sanglée et sédatée », précise son avocat.

Mais de ce que raconte Léa, le bruit et la fureur sont loin derrière. Au même titre que sa seule expérience de la prison, forcément douloureuse, entre le 18 février et le 27 mars 2019. À la suite d'une querelle amoureuse, elle avait incendié les boîtes aux lettres et les poubelles des parties communes de l'immeuble où vivait son mec. Jugée en urgence, la jeune femme avait été placée en détention provisoire en attendant que l'expertise psychiatrique rentre au dossier. Une décision qui avait provoqué l'esclandre de son père, évacué de la salle. Dans la jungle de la maison d'arrêt, Léa avait rapidement été victime des agressions de ses codétenues. N'ayant que sa langue bien pendue à opposer, cette proie toute trouvée avait fini par allumer un feu de détresse dans sa cellule. À l'époque, hors incarcération, elle tournait à un gramme de cocaïne par semaine. « J'achetais un demi-gramme le lundi et un demi-gramme le vendredi », dit-elle machinalement. À cette consommation financée par son allocation adulte handicapé s'ajoutait un mélange d'alcool et d'une blinde de médicaments. On trouve difficilement carburant plus efficace pour multiplier les sorties de route.

Aujourd'hui ça va mieux donc. « Je suis assagie, j'ai un nouveau traitement », fait savoir Léa, dix ans après le premier diagnostic sur ses troubles du comportement. Son studio du nord de Nantes a eu le droit un grand ménage. « Faire du rangement chez soi c'est souvent mettre en ordre sa vie », relève justement la présidente. Léa fait oui de la tête puis cherche du regard sa curatrice assise au second rang. Il y a aussi la présence d'un nouveau compagnon qui a accepté de l'accompagner dans ses démarches pour soigner leur dépendance commune à la poudre blanche.

Un dernier arriéré reste néanmoins à solder avant d'en finir avec son huitième passage devant les robes noires. Il s'agit d'outrages, péché mignon de Léa. L'affaire remonte au 16 mai 2019. Ce jour-là, elle avait insulté, menacé de mort, puis craché au visage d'une agent de la Tan, la société de transports en commun de l'agglomération nantaise. Détail nauséeux de l'histoire, le glaviot avait atterri « dans la bouche de ma cliente », rappelle l'avocate de la partie civile. Postée avec des collègues à un arrêt de tram, celle-ci s'était simplement inquiété de voir Léa divaguant jambe plâtrée, sans béquilles, vêtue d'un pantalon médical. « Elle m'a saoulée, évidemment que j'ai mal réagi », commente Léa, dont l'abolition du discernement n'a jamais été retenue par les différents experts qui se sont penchés sur son cas. « Mais bon, c'est pas elle que je visais, je m'excuse », tempère-t-elle ensuite.

Comme les deux vigiles, l'employée de la Tan ne s'est pas déplacée à l'audience. La présidente poursuit avec le casier de Léa et revient sur son passage en prison. « De ce que vous avez raconté à l'enquêtrice de personnalité, j'ai compris que vous aviez peur d'y retourner ? » Léa marque un petit temps puis souffle : « C'est pas une peur, c'est juste que c'est chiant d'aller en prison, personne n'aime ça. » Elle est condamnée à six mois de sursis probatoire pendant deux ans avec les obligations de poursuivre des soins psychiatriques et d'indemniser les parties civiles. Une interdiction d'entrer en contact avec les trois victimes est également prononcée. Léa quitte la salle l'air satisfaite. À l'issue de sa détention provisoire de mars 2019, elle avait insisté pour « payer un domac » à son avocat pour le remercier d'avoir obtenu un aménagement de peine. Un merci a suffi ce coup-ci.

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