Olivier a 20 ans. Selon l’expert psychiatrique, il présente des capacités intellectuelles très modestes, est immature, instable émotionnellement, incapable de contenir sa frustration ni de prendre du recul sur les évènements.
Le jeune Olivier, chevelure noire en queue de cheval et polo à fleurs, ne se contient tout de même pas trop mal face à la présidente qui déroule ce portrait peu flatteur de lui-même. Mais à un moment, il est bien obligé d’exploser :
« Vous dites que je suis frustré, ben oui je suis frustré ! Michel, j’ai été son raseteur pendant des années, j’ai raseté, raseté, raseté, je lui ai rapporté plein de fric et en échange, rien ! Il offrait une pizza à la fin de la saison mais c’est tout ! Vous vous rendez-compte ? Et sous prétexte que je travaille plus pour lui, j’aurais plus le droit de rentrer dans ses arènes ? Mais il est fou, lui ! »
Les arènes en question sont celles de Châteaurenard. Olivier est né dans cette commune de 15 000 habitants au nord du pays d’Arles. Élève à l’école taurine, il était raseteur, c’est-à-dire, adversaire des taureaux lors de courses camarguaises. Lorsqu’il ne s’entraîne pas, il dispose d’un accès libre aux gradins. Jusqu’à son accident de moto.
« Vous menacez de la "défoncer", puis vous disparaissez »
En l’attente d’une opération, le jeune homme est contraint de rendre sa tenue blanche et son badge. Quelques mois plus tard, à la fête de la Madeleine, la frustration d’Olivier atteint son point culminant.
La présidente est imperturbable et, contrairement aux assesseurs, le restera tout du long. Soutenant le regard du prévenu à travers la vitre du box, elle explique que « le tribunal va reprendre les faits » :
« Le 5 août 2018 vers 18 h 30, vous tentez d’accéder aux arènes pour assister à la course camarguaise de la Madeleine. La fille de Michel, votre ancien professeur, vous refuse l’accès. Il y a une première altercation où vous menacez de la "défoncer", puis vous disparaissez. »
Mais dix minutes plus tard, l’agent de sécurité aperçoit Olivier dans les gradins. Est-il entré grâce à un « collègue » comme il le soutient, ou bien en forçant les barrières de derrière près du boulodrome, qu’importe. L’agent de sécurité et Michel s’avancent vers lui, et tout se passe très vite. L’agent attrape Olivier par l’épaule, le jeune réplique, il dégaine une lame, les deux autres se mettent à l’abri. Le lendemain, Olivier est interpellé et plusieurs couteaux sont saisis dans sa voiture. Un mois plus tard au tribunal correctionnel de Tarascon, il doit répondre de violence avec usage ou menace d’une arme n’entraînant pas d’incapacité de travail.
Des gens pas dignes de confiance
Olivier écoute tout. Mais chaque seconde de silence est saisie comme une aubaine pour riposter. La main levée, les sourcils au ciel d’indignation et le corps tout entier habité par ses mots, il rejoue la scène :
« Déjà, c’était pas un couteau, c’était ma clef. Donc je suis assis tranquillement, et là le vigile vient me dire : "Tu sors !" »
Son bras mime le geste, un policier du box fait mine de reculer. Les sourires montent aux lèvres, les deux assesseurs se cachent dans leurs mains, mais rien n’arrête Olivier.
« Et là, il a voulu me mettre une droite ! Pfiou ! J’ai esquivé ! Et là, pfiou ! J’ai sorti ma clef ! Elle était dans mon caleçon, désolée, madame, c’est là où je mets mes clefs. Les couteaux que vous avez pris c'est pour la pêche. Là, sur ma vie, c’était mes clefs !
— Les victimes ont décrit une lame de 10 cm…
— Mais n’importe quoi ! »
Les deux victimes ne se sont pas constituées parties civiles et ne sont pas là. Olivier leur adresse toute sa rancoeur. Il répète que ces gens sont des « menteurs ». Qu’ils ne sont pas « dignes de confiance ». Sa colère éclabousse les bancs vides du public ou personne ne sied, à part son petit cousin à qui il taxera une clope avant de retourner dans les geôles.
« Monsieur. Est-ce que l’on peut dire que quand vous vous exprimez, vous vous énervez un peu quand même ?
— Hein ! Non.
— Vous êtes calme, là ?
— Oui, oui, je suis très calme madame ! Mais sur ma vie, je voulais juste leur faire peur ! J’ai sorti mes clefs et j’ai dit : "Hé, bande de salopes !" Désolé madame, c’est ce que j’ai dit, c’est vrai. Mais j’ai rien fait d’autre. »
« Faut faire le soumis, soudoyer… »
Olivier a connu le juge pour enfants et les foyers. Il n’a pas digéré la dernière de ses sept condamnations : une amende de 400 euros.
« Pour un joint ! Un joint !
— Vous consommez toujours ?
— Non, j’ai arrêté puisque depuis un mois je suis en prison et qu’ici pour avoir un joint, c’est un truc de malade ! Faut faire le soumis, soudoyer, et moi je peux pas ! Mais je pourrais si je voulais ! Parce que vous savez, en prison, ils font rentrer de tout c’est un truc de fou ! Ils font rentrer du shit, ils font rentrer des iPhone… »
Olivier commence à énumérer les objets sur ses doigts, alors la présidente coupe : « Le tribunal sait, monsieur. » On passe à l’avenir et aux projets. Olivier explique vouloir se faire opérer pour reprendre la course camarguaise. Il est « motivé ». Il désespère de la prison, puisqu’il ne peux rien y faire, même pas aller à l’école. « C’est grave ! » Oui, et ça aussi, « le tribunal sait ».
Le procureur vit l'échange comme un mauvais show et insiste sur « l’expertise psychiatrique très inquiétante du prévenu ». La défense tempère, rappelle qu’il est très jeune, s’insurge contre « les deux victimes supposées », qui sont tout de même « venues empoigner Olivier en premier ».
Olivier est déjà en train de purger une peine. Il sortira dans quatre mois. Le tribunal a opté pour six mois de prison, dont cinq mois de sursis avec mise à l’épreuve. Reste une formalité :
« Le tribunal prononce aussi l’interdiction d’approcher les victimes et de revenir aux arènes de Châteaurenard. C’est pour votre bien.
— Ok, ça va ! Franchement, merci ! Merci, madame ! »