« Monsieur a la fuite imprégnée en lui »

« Monsieur a la fuite imprégnée en lui »

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Dessin : Anaële Pichot.

Impossible. Pas le genre de la maison. Théo, jugé en comparution immédiate le 24 juin pour une palanquée de délits dont des injures à caractère raciste, refuse de le croire. Si un « sale Schoko-Bons » a pu lui échapper, jamais « sale noir ! » n'est sorti de sa bouche. Ce n'est pas la version du gendarme visé par les insultes. À la barre, il tient le discours de la plupart des forces de l'ordre parties civiles dans une affaire : « En quinze années de service, je n'ai jamais vu un tel niveau de violence. » Le mardi 21 juin, lui et ses collègues ont fait les frais de la fureur de Théo, interpellé quelques heures plus tôt à la sortie du palais de justice de Nantes dans des conditions rocambolesques.

Convoqué pour une autre affaire et lassé d'attendre son tour, Théo s'était absenté quelques minutes, vers 17 h, à l'extérieur de la brinquebalante bâtisse dessinée par Jean Nouvel. Deux des trois militaires présents en civil, chargés de le cueillir « en souplesse », lui ont emboité le pas puis sont venus lui expliquer qu'un juge avait requis un mandat d'arrêt à son encontre. Théo a fait mine de coopérer avant de se carapater. « Quand j'ai entendu le mot "garde à vue", je me suis dit "non ça va pas recommencer", et après, bah, j'ai fait ce que j'ai fait », retrace-t-il. Après avoir bousculé un des deux gendarmes, il a sprinté une trentaine de mètres en direction de la Loire. Puis il a enjambé les barrières, s'est faufilé dans les rochers et a sauté à l'eau.

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Dessin : Anaële Pichot.

Le gendarme que Théo n'avait pas bousculé a alors « fait son métier de militaire » en se jetant à l'eau. Ce membre du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig) avait croisé Théo à deux reprises avant ça. La première fois, alors qu'il circulait sur une bécane à l'origine suspecte, Théo avait contourné le barrage puis s'était arrêté 100 m plus loin pour lui faire un bras d'honneur. La seconde, il était passager d'une voiture volée au cours d'un home-jacking et le conducteur avait faussé compagnie à la patrouille. « Monsieur a la fuite imprégnée en lui et met en danger les autres, assure le gendarme. Aujourd'hui, devant vous, il est calme mais je peux vous dire que ça bouillonne intérieurement. Ma grande crainte, c'est qu'il tue quelqu'un sur la route. » Puis, faisant demi tour sur sa droite vers le box, il prend soin de fixer Théo dans les yeux et lance : « J'espère que ça sera un électrochoc pour vous ! » Théo ne bronche pas mais sait qu'il doit son salut à cette marmule dont les triceps malmènent les coutures du polo. Quand il l'a vu en difficulté, l'homme a d'abord cru à un « coup de bluff » avant de réaliser que Théo ne savait pas nager. « C'est un geste insensé », commente la présidente. Alors que Théo commençait à couler et que le courant sournois de la Loire l'éloignait de la rive, le gendarme est parvenu à le saisir puis à le trainer hors de l'eau au prix d'un effort intense. « Il s'agrippait à moi comme à un gros morceau de bois, je vous laisse imaginer la scène », précise-t-il.

Une fois au sec, Théo avait encore essayé de se barrer. « C'est important pour moi la liberté », assène-t-il après deux mots de remerciements pour son sauveur. Des dérobades répétées qui résultent selon son avocate de la « crise existentielle » d'un jeune majeur marqué au fer rouge par deux décès soudains : celui de son petit frère quand il était môme et celui de sa grand-mère plus récemment, tous deux partis pendant leur sommeil, sans signes annonceurs. C'est après cette seconde épreuve que Théo a dévissé en s'acoquinant avec une fratrie dont le nom de famille, connu de tous les magistrats nantais, aurait sa place dans la série Narcos. Aux aguets, ses parents ont fini par déménager pour éloigner leur fils des mauvaises fréquentations. L'exil dans le Finistère s'est transformé en échec, Théo revenant sans cesse au bercail. « J'ai grandi ici, j'ai toute ma vie », revendique-t-il. Outre la rébellion commis après le sauvetage puis les outrages en garde à vue, le parquet a opéré un regroupement de procédures pour trois vols commis dans la même commune, au nord de Nantes.

L'après-midi du 12 mai, en compagnie d'un mineur, Théo s'est emparé du sac à main d'une passante. La femme a résisté avant de lâcher sous les coups. « Jamais de la vie, je suis pas comme ça... Je préfère voler les gens la nuit, arracher ça se fait pas », conteste-t-il. La nuit du 30 au 31 décembre 2021, toujours accompagné, il est reparti d'une maison avec 700 euros de bijoux et la Clio du propriétaire, âgé de 80 ans. La même nuit, les deux compères sous l'effet combiné du gaz hilarant et de mauvais shit avaient forcé la porte du garage d'une femme vivant seule et avaient retourné la pièce avant d'emporter des babioles. La victime, une institutrice veuve, y avaient entassé des affaires de son mari. « Le préjudice moral, symbolique est énorme », ne peut que déplorer son avocat.

De ce qu'on peut saisir entre les déclarations sommaires de Théo, qui a laissé trainé son ADN sur la portière de la Clio, ces larcins ont été commis pour rembourser une dette de stupéfiants contractée auprès des frères précités. « Je veux pas parler d'eux », évacue-t-il en vérifiant dans la salle si les frangins n'ont pas envoyé des émissaires. Qualifiant Théo de « cocotte-minute devant laquelle il ne vaut mieux pas se retrouver », le représentant du ministère public décide néanmoins de lui donner une dernière chance. Peut-être que ce tout jeune magistrat a conscience qu’un mandat de dépôt équivaut à signer le point départ d'une carrière à vingt condamnations. En plus des dix mois de sursis probatoire, huit mois de détention à domicile sous surveillance sont requis, les parents de Théo s'étant portés garant pour accueillir leur fils.

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Dessin : Anaële Pichot.

Resté debout pendant les réquisitions, Théo ne se rassoit pas pour écouter son avocate, une année de barre mais en âge d'être sa mère. Elle s'est prise d'affection pour ce gamin gaulé comme une chipolata après l'avoir assisté en garde à vue, quelques mois plus tôt. Le 21 juin, c'est elle qui a invité Théo à aller faire une pause clope à l'extérieur du palais de justice. Un liard de culpabilité se dégage de sa plaidoirie. Pour elle, c'est clair : Théo voulait en finir en se jetant dans la Loire. « La vie il la moque, il la nargue, il la défie », souligne-t-elle. Quand elle évoque le frère et la grand-mère de son client, Théo musèle ses sanglots pour coller à ce foutu principe qu'un homme, ça ne pleure pas, encore moins en public.

Après un délibéré de plus de 45 minutes, le tribunal prononce une peine de 18 mois de prison dont 12 assortis d'un sursis probatoire avec quatre obligations : justifier d'un travail, indemniser les parties civiles, ne plus entrer en contact avec les complices des vols et ne plus paraitre à Nantes pendant deux ans. La partie ferme de la peine est assortie d'un maintien en détention, justifié selon la présidente par l'extrême mobilité de Théo et la violation systématique de ses précédents contrôles judiciaires. Présents avec ses collègues sur le banc de la partie civile, le gendarme que Théo avait bousculé et qui s'était ensuite cassé l'avant-bras dans la poursuite jette un regard furtif en direction du box. Sur son plâtre, au milieu de mots d'enfants, on peut lire au marqueur noir, « I love Schoko-Bons. »

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