En ce lundi 6 mars 2017, Douai, d’ordinaire si paisible, connaît une certaine effervescence. À chaque détour du palais de justice, visage dissimulé sous une cagoule et fusil d’assaut à la main, un homme veille. Haut, un hélicoptère ne cesse de quadriller le ciel de la cité des géants. Bloqués devant l’entrée, quelques badauds se mêlent aux habituels travailleurs. Tous attendent, avec plus ou moins d’impatience, le passage du fourgon et ainsi l’autorisation d’accéder dans l’enceinte de la cour d’appel. Le manège, inlassablement, se répétera durant les sept jours d’audience. Redoine Faïd comparait, en compagnie de quatre hommes, devant les assises du Nord pour son évasion à l’explosif de la maison d’arrêt de Sequedin le 13 avril 2013.
« Vous n’allez pas risquer votre vie pour un 1 500 euros par mois »
Redoine Faïd, jean et polo bleu clair à manches longues, tient, d’entrée, à préciser certaines choses : « Quand je suis arrivé, je n’avais nullement l’intention de m’évader », avant d’ajouter aussitôt : « Je ne jetterai pas l’opprobre sur le personnel de la maison d’arrêt de Sequedin. » Fin mars 2013, un détenu prend contact avec lui. Il est en possession d’un sac rempli d’explosifs et d’armes et le propose à Redoine en raison de son passé de gangster. Après réflexion – « j’avais peur que cela soit un piège » – Redoine Faïd accepte. Ne reste plus qu’à trouver un chauffeur, l’autre s’occupait du reste. Une ou deux journées avant l’évasion, il récupère le sac : « L’évasion devait avoir lieu le 12 avril, mais ma famille n’est pas venue au parloir ce jour-là. J’ai eu un parloir dit "fantôme" », explique-t-il. Un déchirement : « J’étais conditionné pour faire ça ce jour-là. J’étais dans tous mes états. » Le lendemain, cette fois, sa famille est bien présente et un ami chauffeur l’attend à l’extérieur. Redoine Faïd s’équipe, il met une veste dans laquelle il a disposé des morceaux de scotch : « Pour accrocher les pains d’explosif, mais j’étais sûr à 99 % qu’on allait m’ouvrir la porte. C’est une tribu de professionnels, une bande de copains, ils sont solidaires entre eux. » Il indique tout de même : « Je n’aurais pas fait ce coup sans explosif. Je pouvais tomber sur quelqu’un de récalcitrant qui n’aurait pas voulu ouvrir la porte. »
Au parloir, dans le couloir faisant office de la salle d’attente, il laisse passer deux détenus, leur emboîte le pas et sort son arme. À ce moment du récit, Redoine Faïd souhaite une nouvelle fois apporter quelques précisions : « Il y a des choses qui se sont dites… Mais je peux comprendre que ça a pu altérer leur discernement. Vous avez une vidéo surveillance. » Il se retrouve dans un pièce avec cinq ou six surveillants, dont une gradée. Elle est la plus réactive : « Il a un flingue ! Il a un flingue ! » crie-t-elle avant de déclencher l’alarme. « Elle m’a surpris, je jugerais son comportement comme courageux, d’autres diraient inconscient », explique Redoine Faïd froidement. Il tire une balle vers le sol : « Pour faire comprendre que c’était une vraie arme et non pas une arme en chocolat. » La gradée tombe : « Jamais je ne lui ai mis une arme sur la nuque. Jamais, jamais, jamais. Ça n’a jamais eu lieu. » En compagnie de deux surveillants, il se retrouve dans le couloir d’attente de la famille, la porte ne s’ouvre pas. Redoine Faïd met un pain d’explosif et met à l’abri les surveillants. La première porte vole en éclats. Redoine Faïd et ses otages, désormais quatre, se retrouvent ensuite devant une grille. Personne ne voulant ouvrir, il dispose les surveillants autour de lui et place un nouveau pain d’explosif. La grille vole en éclats. Plus que deux portes avant la sortie : « Je dispose les surveillants otages autour de moi pour me protéger des miradors. Si j’ai pris des surveillants c’est pour ça. Pour ne pas qu’ils me tuent », justifie-t-il. Il sonne, personne ne répond. L’un des surveillants tente sa chance. En vain. Redoine Faïd menace : « Vous n’allez pas risquer votre vie pour un 1 500 euros par mois. Je n’ai pas dit "salaire de merde". » La troisième porte vole en éclats. Devant l’entrée ou la sortie, c’est selon…
Redoine Faïd prévient : « Ouvre ! Sinon je vais lui faire du mal. Évidemment, à ce moment là, je bluffe. » Personne n’ouvre. Faïd ordonne aux surveillants de se mettre en sécurité. La quatrième et dernière porte vole en éclats. Faïd commet là sa seule erreur : le souffle de l’ultime explosion rabat la précédente porte, la troisième. Redoine et ses otages s’étaient réfugiés juste avant cette porte et se retrouvent bloqués. Impossible de l’ouvrir et il ne lui reste plus que deux pains d’explosif. Il place de nouveau un pain sur la porte récalcitrante. Elle ne s’ouvre pas : « À ce moment là, j’ai pensé abandonner. » Mais très vite, il aperçoit une fenêtre donnant sur la sortie et y place son dernier explosif. Un barreau seulement se tord, créant ainsi un étroit passage. Il demande aux surveillants de s’y engouffrer. Sans succès. Il les fait se dévêtir. Même résultat. Lui y parvient : « Dans l’absolu, à ce moment, je n’avais plus besoin d’otages, mais à l’extérieur, il y avait encore deux miradors et des policiers parce que j’ai perdu trop de temps. » Redoine Faïd prend son élan et donne un coup d’épaule dans la troisième porte. Elle s’ouvre ! Les surveillants peuvent désormais le suivre.
Deux devant, deux derrière, voilà comment Redoine Faïd dispose sa garde rapprochée. Son complice n’est pas là, mais une vingtaine de policiers sont déjà présents. Le prisonnier court vers l’autoroute, sans jamais perdre la communication avec le fameux chauffeur. Il tombe encore sur un grillage, abandonne deux surveillants et passe en dessous avec les deux autres. Il court encore, tire en l’air avec son arme. Une fois. Deux fois. Sur l’autoroute, toujours pas de chauffeur, mais un policier, « un courageux » selon ses propres mots. Le « courageux » le braque. Redoine Faïd prend un surveillant au hasard en guise de protection : « Toi, tu viens avec moi. » La voiture arrive enfin, Redoine saute dans la voiture avec le dernier otage. Ils démarrent en trombe et relâchent, comme promis, leur otage quelques kilomètres plus loin. Redoine sera interpellé plus de 40 jours plus tard : « Je voulais rejoindre mon père mourant, et, c’est vrai, j’ai répondu à l’appel de la liberté ! »
« Une porte blindée, 200 g ça suffit ! »
« Dit comme ça, on a l’impression que vous avez raconté une histoire », s’étonne madame Van Boxsom, présidente de la cour d’assises. Elle se demande si Redoine Faïd a conscience de sa violence : « Vous dites souvent "nous", vous utilisez de gentilles phrases, vous n’embellissez pas l’histoire ? » Lui assure que non. Comment le sac est entré en détention ? Il ne sait pas. Depuis combien de temps prépare-t-il son coup ? Pas plus de deux ou trois semaines : « C’est une opportunité qui s’est présentée à moi. Je n’avais rien prévu avant qu’on m’en parle. » Qui lui a donné le sac ? « Je ne veux pas que vous le sachiez. » A-t-il envisagé d’abandonner ? Oui, après l’erreur de la dernière porte. Sur l'utilisation régulière du pronom « on », la magistrate le reprend : « Rassurez-moi, vous étiez seul ? Les surveillants ne vous aidaient pas ? – Oui, c’est vrai, vous faîtes bien de me reprendre madame la présidente. » À propos de sa cavale, Redoine Faïd reste discret. Au moment de son interpellation dans une Laguna, le 29 mai 2013, le fugitif avait deux armes sur lui et 5 000 euros. Les enquêteurs retrouvent également une enveloppe avec plusieurs numéros à l’intérieur. Dessus y était inscrit : « À coffrer » : « Ça veut dire cacher, madame la présidente, j’aime cacher ce qui me tient à cœur » explique Faïd.
Me Winter, avocat de cinq surveillants, se lève et demande solennellement à Redoine Faïd d’indiquer la provenance du sac : Est-ce un surveillant ? Quelqu’un d’autre ? « Si vous voulez que l’on vous entende… – Je le saurais, maître, vous vous doutez bien que je ne le dirais pas. Mais là, je ne le sais pas. La personne qui m’a parlé du sac ne devait pas s’évader, c’est un autre. Lui, il voulait se débarrasser du sac, il est venu me voir en raison de mon profil, c’était une "mule". » Me Winter insiste, Faïd se braque : « Vous faîtes semblant de ne pas comprendre, maître. » Avant d’ajouter : « Je ne fais confiance à personne, moi, je l’ai fait en cavale et regardez, je suis là. » M. Bedos, avocat général, parvient très habilement à mettre Redoine Faïd en délicatesse. Une première : son régime de détention à son arrivée à Sequedin ? Favorable. Lui a-t-on donné la nature de l’explosif ? Le mode opératoire ? Le type d’arme ? Les portes ? Les serrures ? « Je suis allé au pire. Je me suis dit que la porte était blindée. Une porte blindée, 200 g, ça suffit ! » s'exclame l'ancien braqueur. Comment savait-il le nombre d’explosifs ? Faïd demande au mystérieux fournisseur, et en déduit les informations. Comment a-t-il appris à manœuvrer les explosifs ? En Israël, dans les années 1990 : « Ce n’est pas trop compliqué vous savez… »
La version de Redoine Faïd pose plusieurs interrogations. L’accusation cherche à prouver qu’elle n’est pas réaliste, que son évasion est prévue de longue date et organisée avec l’aide de nombreux complices, dont, hélas, un surveillant pénitentiaire. La défense, incarnée par Me Christian Saint-Palais, souhaite rendre la version de « l’opportunité » vraisemblable. Le ténor parisien parviendra même à semer le doute lors de l’interrogatoire de l’enquêteur. Avec finesse, il lui fera dire que la version de Redoine Faïd est « plausible ».
« Je ne vais pas risquer dix ans de prison pour quelqu’un que je ne connais pas »
Tout naturellement l’attention se focalise sur Redoine Faïd. Mais le célèbre braqueur n’est pas seul. À ses côtés, quatre hommes comparaissent devant la cour d’assises, non pour un crime, mais pour ce que l’on appelle des délits connexes.
Fouad, 34 ans, s’exprime bien. Trop bien. Cheveux courts, presque rasés, très calmement, il nie toute participation à l’évasion de Redoine. Il est placé sous contrôle judiciaire après 14 mois de détention provisoire, dont six mois d’isolement. Quelques mois avant l’évasion, il est également détenu à Sequedin, au même moment que Redoine. Ils couraient ensemble tous les deux jours : « Un brave homme », selon Faïd. Étaient-ils amis ? « Pas du tout. » La cour se demande s’il a acheté la voiture, une 406, ayant servi à s’enfuir et même s’il en était le chauffeur. Fouad nie. L’analyse de la téléphonie révèle des rencontres avec Sami, surveillant pénitentiaire à l’époque des faits, et soupçonné un temps d’avoir introduit les explosifs dans la maison d’arrêt. Fouad nie encore : « Il m’avait dit qu’il cherchait une voiture, j’étais donc allé le voir pour lui en proposer une. » Autre élément à charge, Ali, son codétenu a informé les policiers que Fouad l’avait prévenu de l’évasion de Redoine Faïd : « Je suis sur le cul… Il raconte n’importe quoi, il raconte des bêtises », se défend-il. Son vocabulaire relativement soutenu allié à son aisance sont du plus mauvais effet, et ce ne sont pas ses citations de Montesquieu et de Marc Lévy qui arrangeront les choses aux yeux des jurés…
Abdel, 26 ans, barbe de quelques jours soigneusement taillée, est plus extraverti et son langage bien moins soutenu. Il est sous contrôle judiciaire. Sa jeunesse est ponctuée par de nombreux séjours en hôpital psychiatrique. Son mètre soixante-quinze gigote sans cesse, son flot de paroles est élevé. Lui, est accusé d’avoir introduit des téléphones portables en détention et d’avoir participé à l’achat de la fameuse 406. Abdel nie également : « Je ne vais pas risquer dix ans de prison pour quelqu’un que je ne connais pas… » Abdel se reprend, se perd et provoque, à ses dépens, un certain ricanement : « Monsieur l’avocat général, je ne comprenais pas pourquoi vous vous acharniez sur moi comme ça, et puis j’ai regardé sur google, et là j’ai compris. J’ai compris votre rôle. »
À propos de l’évasion, Abdel explique : « Je croyais que c’était Ferrara qui s’évadait, Faïd, je ne le connaissais qu’à la télévision. Je ne l’aimais pas, je n’aime pas les gens qui se la racontent trop. » Maladroitement il admet certaines choses : oui, il a fait entrer du « shit » pour son frère en détention. Et oui, il a accompagné un ami pour acheter une 406. Mais cela n’explique rien : « Le vendeur de la voiture a dit que l’acheteur faisait 1 m 80 et avait les yeux verts. Je fais 1 m 75. Bon, aujourd’hui, j’ai des grosses semelles, mais sinon je ne suis pas très grand et surtout j’ai les yeux marrons ! » Avant d’ajouter : « Je voulais un tapissage, mais personne n’a voulu en faire un ! Si le tapissage avait été fait, je ne serais pas là… »
Mohamed, 27 ans, est le frère d’Abdel. Champion de France de boxe il y a quelques années, il est à contre courant de son frère cadet. Il dégage une grande sérénité et écoute avec attention. Lui aussi courrait avec Redoine Faïd de temps en temps, mais nie tout en bloc : « Faïd ne m’a jamais mis au courant de son évasion, sinon je n’aurais pas traîné avec lui… Tout le monde était au courant que c’était lui qui se barrait. » On l’accuse d’avoir réaliser, de l'intérieur de la prison, la logistique de l’évasion. Mohamed est intelligent, il relève certaines incohérences dans le dossier et prévient : « J’ai l’impression qu’on donne un sens à des coïncidences. »
Hassan ou « le profil idéal ». C’est bien ainsi que Redoine FaÏd définit cet homme de 33 ans qui a passé 11 mois en détention provisoire avant d’être placé sous contrôle judiciaire. Recruté pour le nourrir, le loger et transmettre les messages durant la cavale. En toute discrétion : « C’était la personne idéale, il ne posait jamais de questions, ne parlait jamais. » explique le médiatique braqueur à son propos. Hassan a accepté rapidement : « Je vendais des téléphones au noir, on m’a convaincu, ça paraissait simple. J’ai touché une somme substantielle, et j’ai tout dépensé. » Aujourd’hui à la barre, Hassan n’a pas changé. Il se contente de répondre aux questions, ni plus, ni moins. Il savait juste que la personne en question était recherchée par la police, mais « je ne savais que c’était Redoine Faïd, il était méconnaissable ». Redoine Faïd se grimait, laissant pousser sa barbe et disposant une postiche sur le haut de son crâne : « Quand il était grimé, il jouait un rôle avec moi. Il était dans le personnage. » Hassan l’avoue : « Tout ça, ça me dépasse, je ne pensais pas que j’allais me retrouver dans une telle situation. » Sur la réserve, le « messager » ne dévoilera rien de plus, admettant seulement et sobrement que « 11 mois de détention pour ça, ça ne valait pas le coup… » C’est d’ailleurs par son intermédiaire et par son manque de professionnalisme que les policiers sont remontés jusqu’à la chambre de Redoine Faïd. Hassan, par exemple, réservait les chambres d’hôtel dans lesquelles Faïd se réfugiait, avec sa véritable identité : « Il m’a quand même ramené 120 policiers, je l’ai envoyé voir la mauvaise personne et voilà… » se désole Redoine Faïd.
« Laissez les gens s’indigner d’être incarcérés dans des conditions indignes… Laissez-les ! »
Redoine Faïd est un personnage. Connu et reconnu, tant dans le milieu que par les enquêteurs, son enfance fut bercée par les aventures de Jacques Mesrine, il se souvient qu’« en 1979, à la mort de Mesrine, toute la famille était triste… » Parfois goguenard, souvent extrêmement sérieux, l’homme ne laisse pas insensible. Son QI de 122 lui permet de séduire et de manipuler, mais, selon les experts psychiatriques, il ne présente pas de pathologie psychiatrique bien qu’il en soit à la limite. Tout au long du procès, il tient à montrer l’image d’un braqueur « propre » : « Je n’ai pas de sang sur les mains », répète-t-il inlassablement. Parfois de façon insistante, il précise qu’il n’a jamais voulu faire de mal, qu’il a menacé les surveillants pour « qu’ils m’obéissent » et éprouve les plus vifs regrets à propos du traumatisme subi par les otages. Cette analyse sera partagée par l’expert psychiatre, qui indiquera que Redoine cherche à créer un « choc émotionnel » afin de contrôler au mieux la situation. « Le doc », comme il est surnommé, aime plaire : « Il éprouve un certain plaisir narcissique à enjoliver son existence, comme le démontre son livre. » Livre écrit aux côtés de Jérôme Pierrat, journaliste, sept années auparavant, afin de « raconter mon parcours et de prendre un nouveau départ ».
Au fil de l’audience, en toile de fond, se dessine un autre procès. Celui des prisons françaises, et plus particulièrement de l’isolement : « À l’isolement, je ne vois personne, je ne fais rien. Et quand je vais en promenade, je regarde le ciel, je n’ai rien d’autre à faire… » raconte tristement Faïd. Mais la présidente refuse qu’un tel débat s’installe, agacée elle demande que l’on passe à autre chose. Me Saint-Palais se lève et réagit : « Laissez les gens s’indigner d’être incarcérés dans des conditions indignes… Laissez-les ! » Malgré cette invective, jamais Mme de Van Boxsom ne laissera s'établir le débat des conditions de détention :
« Vous les avez mis nus… C’est une forme de violence quand même !
– Vous savez, Mme la présidente, on me met nu plusieurs fois par jour…
– Oui, mais eux, c’est leur métier ! »
« Il y a des murs, des détenus et entre les deux, il y a les surveillants »
Douze. Ils étaient douze à s’être constitués partie civile. Dix surveillants pénitentiaires et deux syndicats. Tous veulent une réponse et rien qu’une seule : un surveillant, l’un de leurs collègues, a-t-il aidé Redoine Faïd à s’évader ? Tous aussi, déplorent l’absence de soutien de l’administration pénitentiaire. Tous se sentent délaissés : « Durant ce procès, je ne suis payé que 5 euros de l’heure ! » dénonce l'un d'eux. « Vous savez, c’est difficile de dire bonjour tous les matins à un collègue en ne sachant pas s’il a aidé Faïd », explique, fébrilement, une autre surveillante à la barre.
Neuf robes noires se succéderont durant toute une matinée. Certains seront brefs, d’autres bien plus prolixes : « Un procès d’assises, ce n’est pas un moment de vie comme les autres. Quel que soit le banc que l’on occupe, quel que soit le rôle de chacun, il n’est pas question de perdant ou de gagnant, parce que lorsque l’on est ici, on a déjà tous perdu… » explique Me En-Nih en direction des jurés. D’une voix calme, elle n’accable pas Redoine Faïd : « Personne ne peut lui reprocher d’espérer sa liberté. Il devait considérer que sa vie valait chère, il avait raison, mais il a aussi décidé que celles autres valaient moins. En cela, il avait tort. » Avocate de l’un des surveillants, elle rappelle, gravement, les difficultés qu’a subies son client longtemps après l’évasion : « Il n’a repris le travail que trois années plus tard. En mi-temps thérapeutique. »
Me Winter représente, à lui seul, cinq surveillants pénitentiaires. L’avocat parisien partage très vite sa définition du rôle des surveillants : « Que les détenus ne deviennent pas des bêtes féroces. » Il s’offusque lui aussi de l’absence de l’administration pénitentiaire : « Elle devrait être là aujourd’hui, aux côtés de ses surveillants. Je le regrette, les surveillants sont des êtres de chair ! » Habitué de la défense des surveillants pénitentiaires, Me Winter admet tout de même l’inhumanité de l’isolement et le droit de tout homme à s’évader, mais réclame des débats constructifs. Aussitôt, il regarde Redoine Faïd et déplore : « Par votre évasion vous les faîtes reculer ces débats, l’opinion publique va se dire qu’il faut plus de répression… » Sa voix rauque et son aisance semblent toucher son auditoire, et après plus d’une heure de plaidoirie, il se tourne vers ses clients : « C’est un honneur de vous avoir assistés. »
Eric Bedos, rehausse ses lunettes noires. Habile et très précis depuis le premier jour, il ne déroge pas à ses habitudes. D’un ton professoral, il cite les parties civiles : « Ce jour-là, cet homme m’a tuée » ; « Je reste enfermé chez moi, c’est ça que je suis bien » ; « Il a foutu notre vie en l’air » ; « Je voudrais que Redoine admette ce qu’il a fait. » L’avocat général parle, raconte, explique. Constamment tourné vers les jurés, il leur donne cette image : « J’ai vu beaucoup d’employés de banque victimes de braquage et j’ai toujours l’image d’une vitre étoilée. Toujours debout, mais étoilée… » Avant de développer, un à un, les éléments à charge pour chacun des accusés, Eric Bedos prend le soin de définir les notions juridiques. Longuement : la bande organisée, l’association de malfaiteurs, complicité, évasion… Puis vient le cas de Redoine Faïd. Le parquetier revient sur son parcours criminel : plusieurs condamnations, déjà trois prises d’otages à son actif. « J’ai trouvé votre livre très instructif », avance-t-il d’un ton narquois. Il lit quelques paragraphes avant de conclure sur ce point : « Vous aimez briller d’une certaine manière. » Bien plus que le passé de Redoine Faïd, la professionnalisme de l’accusé semble inquiéter : « Il est doté d’une intelligence supérieure à la moyenne. Et en plus il a de l’expérience… » Mais Faïd n’était pas seul. Méthodiquement, Eric Bedos énumère les éléments à charge contre les coaccusés. Il reprend la téléphonie. Puis la chronologie. Puis encore les déclarations de chacun. Aucun doute, l’évasion était prévue de longue date, et ces quatre là, ont aidé Redoine Faïd. Eric Bedos, sans qu’il ait bougé d’un centimètre durant deux heures et demi, requiert à l’encontre de Redoine Faïd entre douze et quatorze ans de réclusion criminelle. Pour Mohamed, Abdel et Fouad, il réclame une peine d’emprisonnement comprise entre cinq et sept ans. Pour Hassan, trois années d’emprisonnement avec ou sans sursis.
« On construit des prisons de plus en plus sécurisées, mais on n’a jamais éteint l’envie de liberté »
« Ne lui faites par porter un costume trop grand pour lui. » Me Stéphanie Lepoutre défend Hassan, « le messager ». Dès le début, elle cherche à démontrer son manque de professionnalisme, son rôle mineur dans « toute cette affaire ». Lorsqu’il a accepté, « il était à mille lieux de s’imaginer coaccusé de Faïd devant les assises. » Me Lepoutre, face aux jurés, explique : « C’est compliqué d’être la parole de celui qui ne parle pas ! » Et prévient : « Le nom de Faïd fait monter les enchères de la prison. » Après avoir demandé l’acquittement pour les principaux délits pour lesquels Hassan comparait, l’avocate lilloise conclut : « Hassan n’est pas le petit qui ne sert à rien, mais le petit dont on s’est bien servi. »
Me Kuchincinski, Bulteau et Cogniot se succéderont à la barre pour demander l’acquittement de leur client respectif. À l’extrême inverse de l’avocat général, ils tenteront, tour à tour, de d’écarter les éléments à charge. Ils mettront les jurés en garde contre l’extrême sévérité des réquisitions : « On vient vous demander une période de cinq à sept ans, c’est énorme ! »
Me Saint-Palais va plaider, cette seule perspective multiplie par deux le nombre de spectateurs : « Je vais vous demander une petite heure d’attention », entame l'avocat. Et rappelle aussitôt que l’évasion n’est punie que depuis 2004. Alternant entre envolées vocales et ton didactique, Me Saint-Palais, dénonce les conditions inhumaines que subissent les détenus français : « Les prisons françaises, organisées par ceux qui sont ici, chapeautées par les magistrats, créent des dégâts sur les hommes ! Les magistrats ont une perception idéalisée de la prison… » Invoquant Alexandre Dumas et son compte de Monte-Cristo, l’avocat prononce une ode à la liberté : « De tous les lieux dans lesquels on a enfermé les hommes, ces hommes n’ont eu de cesse d’en sortir ! » s’envole-t-il vers les hauts plafonds de la salle d’audience. Me Saint-Palais ne diminue pas en intensité : « On construit des prisons de plus en plus sécurisées, mais on n’a jamais éteint l’envie de liberté ! »
Saint-Palais évoque ensuite Redoine Faïd : « La personnalité de celui que je défends mérite que l’on s’attarde. » Pour réclamer « une cohérence judiciaire », il met en balance cette affaire avec l’évasion d’Antonio Ferrara, libéré en 2003 de la maison d’arrêt de Fresne par un commando armé de kalachnikov : « Ce n’est tout de même pas pareil ! » s’écrie-t-il. Après précisément, une heure et vingt minutes de plaidoirie, Me Saint-Palais met en garde la cour, les jurés : Redoine Faïd n’est actuellement, et sans cette condamnation, libérable qu’en 2032, la peine prononcée aujourd’hui ne pourra être confondue avec aucune autre : « Le condamner à une peine à deux chiffres serait catastrophique ! »
Neuf heures de délibéré. Neuf heures durant lesquelles six jurés et trois magistrats ont dû répondre à 103 questions. Neuf heures après lesquelles Redoine Faïd est condamné à dix années de réclusion criminelle, Mohamed, Abdel et Fouad à quatre années d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Hassan, lui, s’en tire bien. Condamné à trois années d’emprisonnement, dont deux ans avec sursis, il ne dormira pas en prison.