Il n’y a pas d’âge pour devenir hors la loi. Renaud avait 42 ans, et il n’y est pas allé de main morte. Un dimanche matin, ce tailleur de pierres au chômage, père de deux enfants, a semé l'effroi sur la paisible agglomération périgourdine. « Cinq infractions, dont trois de nature criminelle, qui ont été correctionnalisées pour accélérer le délai de traitement du dossier », souligne la procureure.
En moins de deux heures, une effraction avec tentative de cambriolage, une tentative de car jacking et deux braquages au couteau dans des tabacs. Dans un langage trivial, on appelle ça un pétage de plombs. Une Chute libre à la sauce Périgueux, dont la raison tient moins de l’acte de désespoir que du coup de folie. C’est en tout cas ce que plaide Renaud et tout l’enjeu de son procès tiendra à cette question : était-il, au moment des faits, responsable de ses actes ?
« Je fais pas ce genre de choses »
Dans le box, un quadra lambda. Chemise grise, jeans noirs, mains sagement croisées devant lui comme un élève pris en faute. De faux airs du général Alcazar de Tintin, l’exaltation révolutionnaire en moins. Un taiseux qui ne livrera pas d’autre explication que celle qu’il a déjà donnée aux enquêteurs : une crise de paranoïa, pathologie à laquelle il n’avait, jusque là, jamais été sujet. « J'étais terrorisé. J'ai fait n'importe quoi. Je fais pas ce genre de choses d'habitude », marmonne-t-il. « Il se trouve en effet que vous n’avez pas de casier judiciaire », note la présidente.
Une nuit de novembre, Renaud s’est persuadé que des malfaiteurs tentaient de s’introduire chez lui. Il a alors quitté sa maison par une fenêtre et s’est réfugié sur un toit, où il serait resté plusieurs heures. Persuadé qu’il était poursuivi par les malfrats, il a alors, selon ses dires, traversé la rivière glacée à la nage. « Vous déclarez que vous avez ensuite tout fait pour être arrêté par la police dans le but qu’elle vous protège de vos persécuteurs », indique la procureure.
Mais le seul persécuteur en chair et en os, au cours des heures qui suivent, sera Renaud lui-même. Le jour s’est levé quand il commence par forcer un cabanon de jardin. Il y dérobe des outils et tente de s’en servir pour forcer la porte de l’habitation attenante, mais tombe nez à nez avec le propriétaire et prend la fuite.
Il repère alors un premier bar-tabac. Hésite, dira-t-il, parce que la jeune femme à la caisse a l’air très jeune. Reprend sa route. Pénètre dans un deuxième tabac, demande un jeu à gratter, attend que le client devant lui s’en aille et, quand il se trouve seul avec le gérant, tire un canif. « Donne la caisse ou je te plante ! » L’autre ne se fait pas prier, lui tend le fond de caisse, 500 euros en liquide. C’est le premier braquage de sa vie, à Renaud, et ça ne s’est pas si mal passé, alors il retente le coup du canif avec un automobiliste qui est arrêté devant le tabac, car jacking, sauf que cette fois, manque de bol, son 4x4 est en panne.
« Il n'aurait jamais agi de la sorte dans un état normal ! »
Alors que les policiers du commissariat de Périgueux sont assaillis, en ce dimanche matin, d’un nombre d’appels inhabituel, et commencent à comprendre qu’un forcené est en train de mettre le secteur sens dessus-dessous, on retrouve Renaud dans un autre coin de l’agglomération périgourdine. Il est, cette fois, en terrain connu, au bar-tabac qu’il a l’habitude de fréquenter. Et contre toute attente, après avoir commandé son café, il se met à braquer le serveur : « J’ai plus rien à perdre, la caisse ou je te plante ! » L’autre l’engueule, vieux, t'as fondu les plombs ou quoi ? mais il obtempère et Renaud se tourne vers l’autre caisse, celle des jeux, et braque de la même façon l’employé qui la tient.
Vient alors cette scène digne d’un western. « Une scène tirée d’un mauvais film », dira la représentante du parquet. Un client assène à Renaud un coup de canne anglaise, un autre tente de le maîtriser, et voilà notre braqueur amateur qui bat en retraite avec son maigre butin. Il tente de prendre la poudre d'escampette, mais c’est sans compter sur les clients attablés à la terrasse chauffée qui, entendant crier « au voleur ! », se lèvent d’un même mouvement. Ils se jettent sur le malfrat, les billets volent, s’éparpillent, le gérant de l'établissement déboule au même instant dans un crissement de pneus ; seule l’arrivée de la police permettra à Renaud d’échapper à la vindicte populaire.
« Comment il aurait pris de l’ecstasy par erreur ? »
Une explication au « comportement insensé » de Renaud, comme dit son avocate, tient peut-être dans les analyses urinaires du quadragénaire : celles-ci ont révélé des traces d’ecstasy. Mais comme rien n'est simple, l'homme nie avoir pris la moindre substance illicite avant les faits, et rien qui ressemble à une substance illicite n'a été retrouvé chez lui.
« Comment il aurait pris de l’ecstasy par erreur ? » s’agace la procureure. Pour elle, Renaud est un menteur. Preuve en est ce que dit de lui le psy qui l'a examiné : « Il manque d’authenticité dans ses réponses ». Donc, « il a pris de l'ecstasy et s'est vu pousser des ailes », point. Et puis la crise de paranoïa, ça va bien un peu, mais Renaud, il calcule quand même bien ses coups ! Refuse de braquer la caissière du premier tabac « parce qu’elle lui semble mineure » ; attend que le client du second soit parti pour tirer son canif… De toute sa hauteur, la représentante du parquet réclame donc six mois ferme avec maintien en détention, une fermeté rare pour un primo-délinquant. Plus six autres avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, « avec obligation de soins et obligation d’indemniser ses victimes ». Le propriétaire de l’habitation visitée, l’automobiliste braqué, les gérants des deux tabacs attaqués en leur nom propre et leurs établissements se sont portés partie civile et réclament indemnisation.
Sous ecsta, mais calculateur ? L’avocate du prévenu, elle, trouve ces réquisitions bien contradictoires... « La seule question qui vaille, rappelle-t-elle, c’est de savoir s’il était en capacité d’apprécier la portée de ses actes. » Or, l’expert psychiatre qui a examiné Renaud évoque a minima « l’altération de son discernement » – ce qui rend le quadragénaire accessible à une sanction pénale –, mais fait aussi dans son rapport référence au premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal :
« La personne atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes demeure irresponsable pénalement. »
Irresponsable, donc non accessible à une peine. « Et le ministère public vient vous dire que monsieur devrait assumer ! » raille l’avocate.
D'ailleurs, s'il est une preuve que Renaud nageait « en plein délire » d'un bout à l'autre de son équipée, c'est qu'il a continué à tenir des propos incohérents au cours de sa garde à vue, et qu'il est resté une semaine hospitalisé en psychiatrie avant d'être renvoyé en comparution immédiate. « Il n'aurait jamais agi de la sorte dans un état normal ! » s'exclame l'avocate, avant de quémander, si d'aventure le tribunal ne reconnaissait pas l'abolition, mais une simple altération de son discernement, « un aménagement, voire une dispense de peine ». On n'emprisonne pas les fous…
C’est dans la posture sage à laquelle il a assisté à son propre procès que Renaud écoute la présidente égrener le jugement, conforme aux réquisitions du parquet, et les sommes qu’il devra aux parties civiles.