Voici un habitué du tribunal correctionnel. Il paraît bien souvent, mais c'est la première fois qu'il comparaît : le journaliste a fait quelques pas pour glisser des bancs de la presse à la barre des prévenus. Chef d’agence pour la Dordogne de L’Écho, quotidien né de la résistance en Périgord et Limousin, il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Périgueux avec son directeur de la publication – absent ce jour-là et représenté par l’avocat du journal – pour « diffamation publique », après une plainte déposée par deux fonctionnaires de la préfecture de Dordogne. Celles-ci n'ont pas apprécié un article signé par le journaliste en mars 2016 à la suite d'une conférence de presse de Réseau éducation sans frontières (RESF) sur la situation des étrangers malades en Dordogne. Plus précisément un passage, dans lequel il écrit que, « selon RESF », les fonctionnaires de la préfecture peuvent faire « fi du secret médical » et commettre « des intrusions dans le dossier médical » des étrangers dont ils traitent les dossiers. L’association n’est pas poursuivie.
Le prévenu à la barre. (illustration : Mathilde Tournier)
« J’ai cité ce qui a été dit ce jour-là en prenant des pincettes », explique à la barre le journaliste, veste bleue sur chemise blanche. Il s'exprime clairement, se tient très droit, sans parvenir à camoufler une pointe de nervosité. « Après la conférence de presse, j’ai contacté la préfecture pour la faire réagir, mais elle n'a pas souhaité s'exprimer. » Une précision qu’il apporte dans son article, de même que le fait que « les propos de RESF n’engagent qu’eux ». « J’ai fait mon travail le plus sérieusement possible, conclue-t-il d'une voix plus assurée. Comme je m'y emploie depuis quinze ans. »
« Après la parution de l’article, la préfecture a-t-elle demandé un droit de réponse ?, s’enquiert la présidente. – Non. » La magistrate hausse les sourcils. « Juste après la parution de l’article, il ne s’est donc rien passé ? – Non. D'où ma surprise quand, en juin, j'ai reçu une notification de citation devant le tribunal ! » Soit juste avant le délai de prescription qui, en matière de diffamation publique, est de trois mois. Et une poignée de jours avant le départ du préfet alors en exercice…
Une coïncidence de calendrier que l’avocat du journaliste ne manque pas de souligner. « Ce préfet aujourd’hui hors cadre a pu vouloir régler ses comptes avant de partir ! » glisse Me Philippe Clerc. Les relations entre le représentant de l'État et L'Écho, et plus globalement la presse locale, n'étaient en effet pas des meilleures. Or, son client est aussi président du Club de la presse de Dordogne…
« Il y a une limite à la liberté de la presse, qui est la diffamation publique »
Irritation de son confrère des parties civiles. Me David Bertol rappelle qu'il défend deux fonctionnaires du service de l’immigration, pas l’ancien préfet. « Ce n’est pas le procès de la presse locale, clame-t-il. Ni celui de la liberté d'expression ! Ma cliente [directrice du service de l'immigration] s’est sentie blessée. Il y a une limite à la liberté de la presse qui est la diffamation publique et elle a été franchie », estime-t-il. Il demande un dédommagement symbolique d'un euro et la publication de la condamnation dans deux journaux régionaux.
La défense, elle, a un avis différent. « Pour qu’il y ait diffamation publique, il faudrait que le lecteur soit convaincu que l’article visait ces deux dames, note Me Clerc. Or, elles n'ont jamais été citées et ne sont même pas identifiables ! » Et sur le banc des parties civiles, les deux fonctionnaires brillent par leur absence. Pour l'avocat, la procédure n'a donc pas lieu d'être, d'autant que « la préfecture pouvait débattre hors du prétoire par un droit de réponse ». Il demande la relaxe de son client et même des dommages et intérêts à l’encontre des deux plaignantes pour « procédure abusive ».
L’action en justice a en effet été engagée par la partie civile selon la procédure dite de « citation directe », qui lui a permis de passer outre le parquet. Le représentant du ministère public, qui s'est gardé d'intervenir au cours des débats, se contente donc de demander « l’application de la loi ».
Le 7 décembre, le tribunal a prononcé la relaxe du journaliste et de son directeur de la publication et les deux plaignantes ont été déboutées. Elles ont en revanche été condamnées à verser à chacun des deux hommes 700 euros pour leurs frais d'avocat.