« J'ai créé une catastrophe»

« On a coutume de dire qu’une image vaut mille mots », avance Benoît Poquet en attaquant sa plaidoirie. Un dessin sur une feuille A4 dans la main gauche, il s’avance vers l’estrade des juges et tend le document à la présidente. On y distingue le visage et le buste d’un enfant vêtu de blanc, entouré d’une kyrielle de mains comme des tentacules. Ces mains, comme le fond du dessin, sont rouge sang et en haut à gauche est écrit à l’encre noire « how are you ? » Incapable de coucher des mots, Alexandre a préféré prendre le crayon quand son avocat lui a demandé quelles paroles il souhaitait voir porter au procès.

Alexandre a 17 ans et vit avec ses parents dans le Maine-et-Loire. Le 9 mai 2021, sa maman a poussé les portes de la gendarmerie pour dénoncer des faits d'agression sexuelle dont aurait été victime son fils. Cinq jours plus tôt, Alexandre s’était « décomposé » à l’évocation de craintes formulées par sa petite sœur sur l’hébergement temporaire d’un ami de leurs parents. Manon, âgée de 12 ans, raconte que Xavier a eu des gestes déplacés le week-end précédent. Constatant l'état d'Alexandre, sa mère l'interroge à son tour. L'ado explique que six années auparavant, Xavier lui avait passé la main sur son sexe et sa poitrine, par dessus les vêtements, au cours d'une nuit. Les faits s'étaient déroulés dans la chambre de la fille de Xavier, la meilleure copine d'Alexandre chez qui il dormait parfois. À l’époque, les deux familles habitaient le même hameau reculé d’une commune du Vignoble Nantais. « Comme souvent, l’agresseur à l’origine de la trahison est un proche en qui on a totalement confiance », ​plaide Benoît Poquet. Alexandre, qui a entamé une transition de genre, était alors une fillette âgée de 10 ans. Pendant des années, il a « gardé ça dans un coin de la tête », jusqu’à la révélation.

L'étendue de la déflagration se mesure dans la déposition de la mère d’Alexandre. Elle raconte le sommeil perdu, les « trois grosses crises de tétanie par jour », la scolarité qui vole en éclats et « le quotidien meurtri », de l'ensemble de la famille. « Alexandre n’est pas dégoûté comme on a pu le lire dans un PV, il est dévasté ! », ​poursuit Me Poquet. « Qu’est-ce que tout ça vous inspire monsieur ? », interroge la présidente Fanny Grosperrin alors que Xavier revient à la barre. « Bah que j’ai créé une catastrophe ! Je regrette profondément et je suis désolé, même si je sais que ça ne suffit pas », ​répond-il. Alors que le tribunal est davantage habitué au déni dans ce type d'affaire, lui a d'emblée reconnu les faits. Au téléphone avec la mère d'Alexandre, qui a recueilli les premiers aveux, puis devant les gendarmes. « C'est compliqué à expliquer, j'étais attiré par elle », ​continue Xavier avant d'évoquer « un acte spontané ».

Lors de la perquisition à son domicile, les gendarmes ont découvert sur son ordinateur une quinzaine d’images à caractère pédopornographique en plus de celles stockées sur son téléphone. L'historique de navigation était du même acabit. « Pourquoi consultiez vous depuis des années des sites mettant en scène des enfants dénudés et la plupart du temps victimes d'agressions sexuelles ? », l'interroge Fanny Grosperrin. « C’était pour pas passer à l’acte », ​explique Xavier. Mauvaise réponse peut-on lire dans le regard des magistrats, incommodés par un autre « signal d'inquiétude », selon l'expression de la représentante du parquet. Alors que le contrôle judiciaire sous lequel il a été placé fin décembre l'y contraignait, Xavier n'a toujours pas vu de psy. Il se défend en expliquant s'être fait recaler à deux reprises après avoir indiqué la nature de sa demande de rendez-vous. Son avocate ajoute qu'une consultation en libérale, comme le suggère la présidente, est compliquée pour un agent de fabrication en intérim plafonnant à 1 300 euros par mois. Inconnu des prétoires jusqu'à cette procédure, Xavier vit seul depuis la rupture avec la mère de ses enfants qui lui reprochait sa consommation d'alcool.

Après délibération, le tribunal le condamne conformément aux réquisitions à une année de prison assortie d’un sursis probatoire pendant deux années. Pendant cette période, Xavier devra justifier auprès du service d'insertion et de probation qu'il continue de travailler, qu'il se tient éloigné d'Alexandre et qu'il s'astreint à des soins psychologiques ou psychiatriques. Les juges prononcent son inscription au fichier judiciaire des auteurs d'infraction sexuelle et une interdiction d'exercer toute activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs pendant 10 ans. Xavier devra enfin verser à Alexandre 260 euros pour son préjudice matériel, 676 euros pour le préjudice scolaire lié aux nombreuses absences et 3 000 euros pour le préjudice moral, auxquels s'ajoutent 1 200 euros de frais d'avocats. Après avoir rendu sa décision, la présidente redonne le dessin à Benoît Poquet puis s'adresse à Alexandre : « Au-delà de votre indéniable talent de dessinateur, c'est un document éloquent à plus d'un titre. »

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