« J’ai conscience que j’ai sept enfants et que je n’ai pas versé un rond »

« J’ai conscience que j’ai sept enfants et que je n’ai pas versé un rond »

Alyette s’est assise sur le banc des parties civiles tout en jetant un coup d’œil vers la porte, comme si ça allait faire venir son ex-mari. Mais Renaud ne s’est pas pointé. Alain Kerhoas, le président de l’audience correctionnelle de Rennes du 27 décembre 2019, a commencé à lire ce qu’on reprochait à ce monsieur de 58 ans. « Abandon de famille. » C’est aussi moche que ça en a l’air. Alyette et Renaud ont divorcé le 12 décembre 2013 et le jugement obligeait monsieur à verser une pension alimentaire à son ex-femme pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Il n’a rien donné. « Vous aviez sept enfants », dit le juge. Alyette a pouffé à cause de l’imparfait. Elle a murmuré à son avocate, « je les ai toujours », avant de se retourner vers le juge, les lèvres un peu pincées, comme si elle craignait d’avoir été entendue.

Imperturbable, Alain Kerhoas a continué à lire la prévention. Il s’est mis à alterner entre la première et la troisième personne du singulier – le « je » pour les déclarations de Renaud, le « il » pour raconter l’histoire –, et le magistrat a gardé un ton assez neutre pour ne pas donner son avis mine de rien. « Il a déclaré : "Je n’ai rien versé parce que je ne pouvais pas."En avril 2018, le juge aux affaires familiales l’a débouté de sa demande de constatation d’impécuniosité. Certes, il a peu de revenus, mais il est propriétaire de plusieurs bien indivis dont la valeur totale n’est pas négligeable et il n’a rien fait pour les vendre. » Résultat : Alyette a attendu près de six ans le versement des pensions alimentaires fixées à 200 euros par mois pour chaque enfant. Soit un peu plus de 98 000 euros.

Alyette sur le banc des parties civiles.

Alyette sur le banc des parties civiles. Dessin : Pierre Budet.

Là, le juge a laissé tombé la voix monocorde et a pris la salle à témoin : « Qu’il n’ait pas pu payer les 98 000 euros, le parquet aurait pu le comprendre, mais qu’il n’ait même pas payé 50 euros par ci, 50 euros par là… Si on peut conserver des rancoeurs entre adultes après un divorce, derrière les pensions, il y a des enfants. » Alyette, très distinguée dans son pull gris à sequins, a acquiescé sans trop en faire non plus. Puis le juge a cherché d’autres éléments dans le dossier, mais on voyait bien qu’il aurait préféré que Renaud vienne s’expliquer lui-même. « Il dit aussi : "C’est ma mère qui a l’usufruit des biens.’Il semble qu’il vit avec 500 euros par mois. Il a été licencié en 2011, il a passé un CAP de menuiserie. » Dernière question : « Il voit toujours ses enfants ? » Alyette a fait « non ».

Pour son avocate, c’est du tout cuit, et on sent qu’elle le sait. Mais comme sa cliente, elle n’en rajoute pas, même s’il y aurait de quoi. Elle souligne quand même qu’Alyette a 58 ans, qu’elle travaille en intérim, qu’elle a passé de nombreuses années à s’occuper des enfants, qu’elle a suivi son mari en Bretagne, qu’il l’a quittée deux ans après et qu’il lui reste encore trois enfants à charge. « Je vous laisse imaginer la difficulté. » Le juge n’a pas tellement eu le temps d’imaginer parce qu’un homme tout rouge et essoufflé a fait son entrée en tenue de motard. C’est Renaud. Et c’est donc un coup de théâtre comme on n’a peu l’habitude d’en voir en correctionnelle parce qu’il n’y a pas le temps pour ça. Il n'a pas su vraiment qui regarder alors il a répété « je suis en retard » aux gens tournés vers lui ; autant dire tout le monde.

« Le tribunal aime bien les motos. »

Ça a énervé le juge qu’il débarque en trombe comme ça, et avant qu’il ne pose son sac à dos sur le banc, il lui a dit : « Vous êtes en retard pour tout, y compris pour le paiement des pensions alimentaires. » Ça résumait bien tout ce qui venait de se dire, mais il fallait quand même tout réexpliquer pour Renaud. Lui a répondu qu’il était toujours fauché, mais qu’un des biens était en vente depuis deux ans, sauf qu’il ne pouvait rien en tirer avant la mort de sa mère. « Ce que le juge aux affaires familiales vous reproche, c’est de ne même pas avoir fait une demande à l’amiable », a exposé Alain Kerhoas. « Je ne vais pas foutre ma mère à la porte à son âge ! » s’est opposé Renaud. Après le juge a élevé la voix : « Vous avez sept enfants monsieur et vous n’avez pas versé un sou. C’est choquant ! Pas. Un. Sou. »

Renaud est arrivé en retard à l'audience.

Renaud est arrivé en retard à l'audience. Dessin : Pierre Budet.

Renaud s’est justifié en disant qu’il n’avait pas gagné d’argent depuis son stage en maçonnerie – ça a agacé le juge parce que dans le dossier était écrit « menuiserie » –, qu’il faisait des petits boulots l’été, mais que l’hiver il ne trouvait rien. Il n’a peut-être pas su non plus jusqu’où il fallait détailler sa situation pour prouver qu’il était à la dèche, donc il a continué en racontant qu’il vivait avec 500 euros par mois, qu’il ne chauffait pas l’hiver, qu’il n’avait pas les moyens de fumer et qu’il n’avait plus de voiture. « Je n’ai qu’une moto, c’est pour ça que j’étais en retard, je suis parti à 5 heures de chez moi et j’ai fait 220 km. » Alain Kerhoas s’est montré intrigué, mais pas pour les raisons qu’on pouvait se figurer. « C’est quoi comme moto ? - Ben, une 600. - Quel modèle ? » On n’a pas entendu le détail, mais le magistrat a souri, et comme pour s’excuser de ce petit aparté, il s’est senti obligé de préciser : « Le tribunal aime bien les motos. »

À partir de là, Renaud a semblé comprendre là où le juge voulait en venir. Il a lâché : « J’ai conscience que j’ai sept enfants et que je n’ai pas versé un rond. » Alain Kerhoas l’a repris. « Je le répète, que vous n’ayez pas versé la totalité, on peut le comprendre. Mais pourquoi ne pas avoir versé ne serait-ce que 20 euros par ci ou par là ? On voit des gens ici encore plus démunis que vous. » Avant son licenciement, Renaud était délégué pharmaceutique et même s’il a un nom à particule, il n’a pas d’économies. L’avocate d’Alyette a repris sa plaidoirie là où elle en était en demandant 1 500 euros pour réparer le préjudice moral de sa cliente, qui n’a rien laissé paraître des difficultés auxquelles elle doit sans doute faire face. « On ne peut pas dire qu’il l’ait laissée dans l’inconfort, il l’a laissée dans l’indigence. »

La procureure, Anne-Cécile Alexandre, a réfléchi tout haut à une « réponse pénale adaptée ». Soit six à huit mois de sursis avec mise à l’épreuve, dont l’obligation pour Renaud de payer la pension à son ex-femme. Renaud s’est lancé dans des calculs, « si la maison de Trébeurdun devait se vendre, il y en aurait en gros pour 60 000 euros ». Alyette a hoché la tête comme pour signifier que ça lui irait bien et le juge a fini par dire à Renaud qu’il fallait quand même s’activer. Puis, il a rendu sa décision : constatation de l’extinction de l’action publique pour une partie des faits et pour le reste, il l'a condamné à quatre mois de sursis avec mise à l’épreuve de deux ans. Renaud a l’obligation de justifier d’un travail ou d’une formation et de l’indemnisation de la pension alimentaire. Le juge a aussi accordé 1 000 euros de dommages-intérêts à son ex-femme. Renaud est resté figé sur place en bredouillant qu’il n’avait pas les moyens, mais ça n’a pas trop ému le juge. « Attention, c’est une peine quand même… Alors faites attention en moto. »

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