« Ils sont tous morts chez Charlie. Jean-Paul Ney, t'es le prochain »

« Je ne suis pas seulement là pour informer, mais aussi pour critiquer et mettre les choses en marche. » Le 17 mars 2017, plus de deux ans après les attentats qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo, Jean-Paul Ney retrouve les bancs de la cour d'appel de Paris, face à trois juges, dans une salle à peu près vide.

Jean-Paul Ney, la quarantaine tout juste grisonnante, a l'allure d'un participant du Paris-Dakar. Barbe à peine taillée, veste en jean sombre, c'est l'archétype du journaliste-baroudeur à grande gueule, une sorte de Gérard Holtz de l'antiterrorisme, aussi célèbre pour les informations qu'il dévoile que pour ses coups de sang : après le jugement de première instance, où il avait été condamné à une amende de 3 000 euros pour recel de violation du secret de l'enquête, il avait brûlé son passeport français, en direct sur les réseaux sociaux.

« On vous tient enfants de putain #CharlieHebdo »

Pourtant, c'est d'une voix douce, presque timide et gênée, qu'il s'explique devant le tribunal : « Je suis beaucoup plus apaisé qu'en première instance. » Au premier procès, il avait été jugé pendant cinq heures à côté de trois autres prévenus – un ancien de la DGSE et deux fonctionnaires de police. Le débat avait été mouvementé, un peu confus également. Cette fois, tout est clair, et il peut s'expliquer tant qu'il veut, seul et sans pression.

Alors la présidente expose à nouveau les faits qui lui valent d'être ici, et qui tiennent en une phrase : « On vous tient enfants de putain #CharlieHebdo », un message publié par le journaliste sur Twitter, le 7 janvier 2015 à 20 h 22, accompagné de l'identité des deux frères Kouachi et d'un troisième homme, finalement mis hors de cause. Des informations qui, selon les juges, auraient pu mettre l'enquête en péril et empêcher l'arrestation des deux terroristes.

D'emblée, la présidente montre aux deux autres juges la faille principale de la procédure : on ne peut pas reprocher à Jean-Paul Ney d'avoir été le premier à dévoiler l'information, le site Wikistrike l'avait fait avant lui. Pourquoi Wikistrike n'est-il pas sur le banc ? La présidente pose la question rhétorique à ses collègues : « C'est un peu mystérieux de savoir pourquoi il n'a pas été poursuivi. Là, il y a quelque chose qui m'échappe. »

La faille, elle, n'échappe pas à Me Lahana, l'avocate de Jean-Paul Ney : « Ce qui est important, c'est de savoir si ces éléments étaient déjà sous le sceau de l'enquête, où s'ils étaient tombés dans le domaine public, parce que partagés sur les réseaux sociaux. » Effectivement, la photographie de la pièce d'identité des frères Kouachi avait circulé toute la journée dans tous les commissariats de France, la fuite était inévitable. Une fois l'identité dévoilée, il était évident, pour Jean-Paul Ney, que les éléments de l'enquête, fiche de police et DNU (Diffusion nationale urgente), allaient suivre.

« Vérifier l'information, vérifier l'information et vérifier l'information »

Il expose sa propre chronologie, le 7 janvier. « Il est à peu près 10 h quand je reçois un premier message : "Ils sont tous morts chez Charlie". » Il explique qu'il était lui-même, à ce moment-là, sous protection policière, et qu'il avait reçu un nouveau message, d'un correspondant anonyme : « Jean-Paul Ney, t'es le prochain. »

« Mon travail, c'est de traquer les jihadistes qui partent en Syrie et de mettre leur tête à la télévision pour qu'ils ne puissent plus revenir. » Une expérience du terrain qu'il met en avant pour expliquer sa décision de dévoiler l'identité des frères Kouachi : « La seule question que je me suis posé, c'est : est-ce que l'information est vraie ? » Il rappelle alors les trois règles du journalisme qu'il s'impose : « Vérifier l'information, vérifier l'information et vérifier l'information. » Il appelle ses sources, considère qu'il a « le feu vert » et publie.

« Je suis journaliste, mais je suis citoyen aussi. Sur cette affaire, mon expérience me permettait de faire les choix le mieux possible. Ce n'est pas pour être le premier, ou pour gagner de l'argent, c'est un service que je rends à la société. Parfois, ces choix sont lourds à porter », explique-t-il encore. Les juges, sans être impassibles, ne semblent pas particulièrement émus par le récit que le journaliste fait de ses choix moraux.

« Mais la police avait choisi de ne pas diffuser cette information. Ce n'est pas votre rôle, ils sont tout de même mieux informé que vous, lui fait constater la présidente. – Ça circulait déjà partout, à un moment donné, il faut arrêter de se cacher. Au moins, je pouvais limiter la casse en vérifiant l'information. J'ai juste fait mon travail », se défend le journaliste.

« Les vrais professionnels, eux, avaient décidé de ne pas dévoiler l'information, ils avaient peut-être leurs raisons ? », reprend la présidente. Jean-Paul Ney avance une autre explication : « C'est l'éternelle guerre entre les services de police. Pour moi, les frères Kouachi venaient de tuer 12 personnes, il y avait une urgence. »

La suite du débat se perd dans un dialogue de sourds, répété des deux côtés jusqu'à ce que chaque partie soit bien certaine de camper sur sa position : d'une part, la cour, qui considère que ce n'est pas à un journaliste de se substituer aux autorités pour diffuser une information dans de telles circonstances, et de l'autre, un journaliste persuadé d'avoir agi dans le respect de la déontologie, pour la protection des citoyens.

« Tout le monde a paniqué »

La présidente finit par clore le débat : « Bon. Avec le recul, maintenant, qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous en avez tiré ? Est-ce que vous feriez la même chose ? Est-ce que vous avez compris que ce n'est pas votre rôle ? »

Le reporter répond : « Si. Je suis journaliste, c'est mon rôle. Les frères Kouachi revenaient sur Paris pour faire un baroud d'honneur. C'était mon devoir de faire en sorte que tout le monde les reconnaisse. » La procureure prend la parole derrière lui, pour des réquisitions de moins d'une dizaine de minutes.

« J'entends bien son expérience, résume la magistrate. Mais qui doit se poser la question du moment adéquat de la diffusion des informations ? Ce sont les policiers, les seuls à avoir tous les éléments nécessaires pour prendre la décision. » Elle demande donc la confirmation de la peine prononcée en première instance, après avoir regretté, une fois de plus, que personne ne puisse expliquer pourquoi Wikistrike, premier a avoir dévoilé l'information, n'ait pas été inquiété.

Me Lahana plaide très rapidement, à peine cinq minutes, pour demander la relaxe de son client. Elle rappelle le contexte, une journée pendant laquelle « tout le monde a paniqué ». Mais les informations dévoilées par Jean-Paul Ney, répète-t-elle, étaient déjà dans le domaine public, déjà diffusées sur les réseaux sociaux. « Il y a eu beaucoup de bavures et d'incohérences ce jour-là, ce que je peux comprendre, étant donné les circonstances. Mais c'est injuste que ce soit Jean-Paul Ney qui paye. Si quelqu'un doit être coupable, alors tout le monde doit être coupable. »

Elle conclut par un sobre : « Enfin voilà quoi, du coup je vous demande la relaxe. »

Le tribunal laisse une dernière fois la parole à Jean-Paul Ney : « Je pense avoir fait mon travail dans les conditions les plus strictes de sécurité et de vérification. Une dernière chose : ce jour-là, je regrette de ne pas avoir eu la photo de Coulibaly, peut-être que les choses se seraient passées différemment s'il avait été reconnu avant d'attaquer l'Hyper Casher. »

La décision sera rendue le 26 mai.

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