« Il vit comme un parasite sur la société économique française »

Le tribunal appelle Alain C. à la barre. Un petit homme asiatique de 55 ans, les cheveux grisonnants, l'air apathique, s'avance. L'assesseuse cherche la victime en butant sur la prononciation : « Mme Chanzu W. ? Est-elle présente ? Non… On aura tenté. On a bien un numéro de portable… Mais visiblement, elle n'est pas venue aujourd'hui. » Alain tient un restaurant chinois dans le 6e arrondissement de Paris. Lors d'un contrôle, les policiers sont tombés sur Mme Chanzu W. en cuisine, « une charlotte sur la tête, en train de couper des légumes ». Pas de chance, celle-ci n'a pas de contrat de travail, ne parle ni français, ni anglais, et n'a qu'une carte Navigo pour prouver son identité.

L'avocate d'Alain cherche à annuler la procédure : son client n'a pas été informé de ses droits lors de son audition en tant que suspect libre. La procureur botte en touche : « Est-ce que cela lui a porté préjudice ? L'audition, qui entre nous n'apporte pas grande lumière au dossier, n'a duré qu'une demi heure. »

Lors de cette audition, Alain avait expliqué ne pas connaître Mme Chanzu W., « que c'est une salariée qui était malade qui l'a embauchée ». Aujourd'hui, il jure qu'elle l'a trompé : « Nous, on a embauché cette dame le 1er mars, mais elle est venue avec les papiers de quelqu'un d'autre.

– Et vous n'avez pas fait de vérifications ? demande l'assesseuse en rappelant que Mme Chanzu W. n'a pas de titre de séjour en France.

– Non.

– Ce qui est un petit peu étonnant, c'est ce que dit cette dame aux policiers : que vous lui auriez donné des photocopies des papiers de Mme Yuan Z., une de vos salariées qui était malade, à présenter en cas de contrôle ; que vous l'employiez sans contrat ni fiche de paie de 10 h à 15 h puis de 18 h à 22 h pour 1 000 euros en liquide par mois.

– Non, je ne connais même pas cette dame. »

La procureur, à qui on ne la fait pas, feigne de s'interroger : « Depuis quand exercez-vous le métier de restaurateur en France ? – Depuis… 1996. » Et le ministère public de rappeler les deux précédentes condamnations d'Alain pour travail dissimulé et emploi d'un étranger en situation irrégulière, en 1998 et 2013.

L'assesseuse reprend la main : « Les démarches pour déclarer les salariés, c'est vous qui vous en occupez ?

– Je donne tout ça à ma femme.

– Bon… Et quels sont vos revenus ?

– Euh… hésite Alain. C'est par an que je calcule. Entre 5 000 et 6 000 euros.

– Et vous payez combien de loyer ?

2 000 euros.

– Vous payez 2 000 euros de loyer par mois alors que vous prétendez ne gagner que 6 000 euros par an ?!? s'étrangle l'assesseuse.

– C'est le loyer du restaurant et de l'habitation, intervient l'avocate d'Alain.

– Bon… Vous avez d'autres ressources ?

– Non. »

« Une situation hyper-classique de travail dissimulé »

La procureur démarre ses réquisitions d'un ton cassant, et dénonce « une situation hyper-classique de travail dissimulé : une salariée tombe malade, on la remplace au pied levé sans faire de déclaration. On s'évite comme ça le paiement des charges, des impôts, de l'Urssaf. » Grandiloquente, elle mène la charge contre Alain : « Il vit comme un parasite sur la société économique française. C'est la communauté toute entière, ceux qui travaillent, qui paie. » Elle balaie rapidement les doutes sur les déclarations de Mme Chanzu W. – « Elle est crédible grâce aux antécédents de M. Alain C. » – et demande deux mois de prison et 5 000 euros d'amende « sans sursis ».

Devant l'absence de Mme Chanzu W., la défense a jeu facile : « Pourquoi devrait-on croire ses déclarations plutôt que celles de mon client ? » Elle plaide la relaxe, et ose : « Ses antécédents judiciaires ne plaident pas en sa défaveur. La Justice lui a donné un avertissement, il en a tenu compte : il a déclaré Mme Yuan Z. »

Après une rapide suspension, le tribunal annule l'audition du prévenu, « ce qui n'entraîne pas la nullité des autres actes de la procédure ». Alain est relaxé, « au bénéfice du doute ». « Vous avez compris ? finit l'assesseuse. Au revoir. »

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