« Je vous ai écrit parce que c'était la meilleure chose à faire mais, en le faisant, je me suis dit : "Tu es en train de te foutre dans la merde tout seul." En prison, on a un code d'honneur. Je vais avoir des problèmes avec les autres détenus. » Dans un courrier adressé au procureur de la République, Franck G. a indiqué avoir reçu des confidences de la part de Francis Heaulme sur le double meurtre de Montigny-lès-Metz, tandis qu'ils étaient voisins de cellule à la maison d'arrêt de Metz, en 2002. A la barre, l'ancien codétenu du « routard du crime », malade, en fauteuil roulant, est ému aux larmes. À plusieurs reprises il s'excuse devant la cour de ses difficultés d'élocution et de sa mémoire défaillante. « A cause de ma maladie, je prends énormément de cachets », explique celui qui fait la connaissance de Francis, comme il l'appelle, en août 2002, alors qu'il est transféré à Metz. A l'isolement, on l'installe dans la cellule 446. Francis Heaulme occupe la n° 445.
« Dès mon arrivée, Francis a toqué dans le mur pour savoir si j'avais besoin de quelque chose. Il m'a demandé si je voulais aller en salle d'activités avec lui. Très vite, on est devenu amis. On jouait souvent aux échecs. On allait en promenade ensemble, on travaillait ensemble. » Les deux détenus se côtoient tous les jours. Dans l'une des deux cellules, ils ont pour mission de conditionner des agrafes. Si des liens se tissent, ils n'évoquent jamais leurs « affaires ».
« Je ne savais pas pourquoi il était incarcéré », raconte Franck G. relatant leur quotidien émaillé de petite débrouille entre détenus et de parties d'échecs. « On se tapait de ces parties ! Il me mettait des volées ! Il avait toujours sept à dix coups d'avance. Il est vraiment très bon. Il a une mémoire phénoménale. » Entre les deux hommes se sont nouées « une forte amitié » et une « confiance mutuelle ». Le témoin ne cesse d'adresser des regards à l'accusé reclus derrière la vitre de son box.
Les deux hommes ont pris l'habitude de communiquer en s'écrivant sur des bons de cantine qu'ils se font passer d'une fenêtre à l'autre. Un soir, à la mi-septembre, Francis Heaulme écrit : « Surtout ne loupe pas l'émission sur France 3. » Le lendemain, la troisième chaîne diffuse un reportage consacré à Patrick Dils, qui vient d'être acquitté, en avril 2002, après 15 ans de prison, pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz.
« Le lendemain, Francis n'était pas comme d'habitude. Je lui ai demandé ce qu'il n'allait pas. C'est là qu'il m'a raconté son histoire. » Francis Heaulme aurait raconté à Franck G. être parti de Vaux, où il habitait chez sa grand-mère, en début d'après-midi, avoir rencontré quelqu'un rue Venizelos, à Montigny-lès-Metz, et avoir reçu des cailloux jetés par des enfants depuis un pont. L’accusé lui aurait dit : « Avec l'autre, on a déposé nos vélos près d'un pont. On a monté le talus. Il y avait plusieurs gamins. On en a attrapés deux. » Franck G. ajoute : « "L'autre", il n'a pas voulu m'en parler. » Les enfants morts, chacun serait reparti de son côté.
« Je ne suis pas une donneuse »
Francis Heaulme aurait aussi précisé avoir « baissé le froc du plus grand ». Lorsque les corps des deux enfants sont retrouvés le 28 septembre 1986, l'un d'eux a le pantalon baissé. Un détail qui interpelle Me Alexandra Vautrin, l'avocate de la mère de l'une des deux victimes. « La presse n'a jamais fait état de la différence de taille entre les deux enfants », fait-elle remarquer. « Il m'a dit qu'il faisait cela à toutes ses victimes », explique Franck G. « Je me suis dit qu'il avait un complexe. Je sais qu'il a un sexe de petite taille et que ses testicules sont minuscules », ajoute-t-il faisant allusion à la maladie génétique dont est atteint Francis Heaulme, le syndrome de Klinefelter. « Il m'a raconté toute son histoire en me demandant de l'aider à trouver des mots à dire, un alibi. »
Après ces révélations, Franck G. n'arrive plus à dormir, aussi se résout-il à écrire une lettre au procureur de la République. « J'ai dit que Francis m'avait fait des déclarations. Il m'avait raconté qu'il avait reçu des cailloux et qu'il s'était vengé. » À la barre, le témoin est mal à l'aise, comme s'il trahissait son ami tandis qu'une nécessité impérieuse le poussait à le dénoncer.
« Je ne suis pas une donneuse. Je l'ai fait parce que j'ai des enfants. S'ils étaient tués, je voudrais savoir pour pouvoir les enterrer dignement. Je n'attendais rien. J'avais déjà purgé dix années sur une peine de 12 ans, j'étais libérable deux mois plus tard », se justifie-t-il, des sanglots plein la voix. Sans cesse il cherche du regard Francis Heaulme qui semble absent et hors d'atteinte. « J'aurais préféré qu'il ne me dise rien. Après cela, je n'ai eu que des soucis. »
« M. G., c'est la première fois que je le vois », répond froidement Francis Heaulme au président qui le questionne sur sa relation avec le témoin. « Je n'ai jamais joué aux échecs. Aux dames, oui mais pas aux échecs. C'est pour avoir une remise de peine qu'il raconte ça », poursuit-il. « Je le regarde dans les yeux, il ment, je le vois », déplore Franck G. « Je lui ai parlé, oui, mais je ne lui ai jamais parlé de Montigny », finit par admettre Francis Heaulme.
Le second témoin, lui aussi, a connu Francis Heaulme en prison, à la centrale d'Ensisheim, un établissement pénitentiaire qui accueille surtout des longues peines. C'est entravé et sous escorte, que le petit homme nerveux témoigne à la barre. « Il est bien triste, Francis ! » lance-t-il après avoir adressé un regard à l'accusé qu'il ne quittera pas des yeux.
« Francis, il a bon cœur. Il me faisait du café et sortait des bonbons Haribo »
Michel L. est arrivé à Ensisheim en 2008. « Un jour, j'ai été invité à jouer aux cartes dans sa cellule. » Début d'une relation qui se noue entre les deux hommes au gré des parties quotidiennes de Rami. Le témoin revient sur le sort réservé à Francis Heaulme à la centrale, des trémolos dans la voix. « On m'insultait parce qu'il m'invitait chez lui. Cela me faisait beaucoup de peine », se souvient-il. A plusieurs reprises, il a surpris des codétenus « lui cracher dans le dos », parce qu'à Ensisheim, il est « un tueur en série ».
Avec une émotion empreinte d'une théâtralité qui va crescendo, Michel L. évoque un Francis Heaulme attachant. « Francis, il a bon cœur. Il me faisait du café et sortait des bonbons Haribo. Entre lui et moi, le courant est très bien passé. Il m'a même proposé de l'accompagner à "Rencontres et partages" avec deux curés », raconte-t-il. Francis, aussi, est un rigolo. « Il m'a fait rire à larmes », s'esclaffe Michel L. « Hein Francis ! Tu te souviens ? » lance-t-il à l'accusé, impassible, à propos d'une anecdote mettant en scène un Francis Heaulme déguisé en femme. Francis Heaulme ne sourcille pas tandis que le public, imaginant la scène, peine à refréner un fou rire.
C'est en septembre que Francis Heaulme se serait livré à Michel L. à propos de sa potentielle implication dans le double meurtre de Montigny-lès-Metz. « Il allait passer aux assises en novembre, il était inquiet. » Francis Heaulme aurait confié à son codétenu être l'auteur du crime. « Je lui ai dit de regarder les jurés et de leur dire : "j'ai tué huit personnes, j'ai pris deux fois perpét', alors si c'était moi, je le dirais".»
Michel L. est convaincu de la culpabilité de son ami. « Je le connais le Francis. Je sais très bien que c'est lui. Il a fait ça dans un accès de démence ou de boisson. » « Quand je bois trop, je parcours 20 km en vélo sans me souvenir de rien », lui aurait confié Francis Heaulme. Ce qui, selon Michel L., le retiendrait de passer aux aveux, c'est, en premier lieu, la crainte de ne plus voir sa sœur. « A l'époque de l'affaire de Joris Viville [Francis Heaulme a été condamné pour le meurtre du garçon de 9 ans à Port Grimaud, en avril 1989. La victime avait été étranglée et poinçonnée de 83 coups de tournevis, ndlr], sa sœur n'est pas venue le voir pendant deux ans, se souvient Michel L. Vous voyez ? Cet homme est humain, il a changé. Il ne veut pas perdre sa sœur. »
Autre raison qui pourrait contraindre Francis Heaulme au silence : la peur du sort qui lui serait réservé en prison s'il était étiqueté « tueur d'enfants ». « S'il avoue, que va-t-il lui arriver ? », interroge Michel L. « S'il vient à avouer les faits, il va se faire tuer en revenant à Ensisheim. Ils sont extrêmement vigilants. » La substitut du procureur général de tempérer ses inquiétudes : « Oui, enfin, je vous rappelle qu'il y a Michel Fourniret à Ensisheim… »
Sentant qu'il a loupé son petit effet, Michel L. sort alors l’atout émotion. « Il est malade, ça se voit, je pense qu'il ne va pas vivre encore très longtemps. Je suis désolé, Francis ! » Francis Heaulme ne réagit pas. « Il a des sentiments malgré ce qu'il a fait, il a des sentiments. Son cœur a changé. S'il était noir, il a changé de position. Il est devenu rouge ! » Et Michel L. quitte la salle d'audience. Sous escorte.
« Ça l'a un peu énervé le Francis… »
Retour au calme avec l'arrivée d'un troisième codétenu à la barre, lui aussi entravé. Même technique que pour Franck G., Francis lui a envoyé un petit mot par la fenêtre pour lui proposer d'aller en salle d'activités. Providentiel, Francis Heaulme est venu lui apporter du tabac dans sa cellule.
Rapidement, Francis Heaulme demande à Pascal M. s'il sait à qui il a affaire. « Voilà Francis, lui répond Pascal M. L'histoire, elle est simple : ce que tu as fait, je m'en fous. Je ne te demande juste de ne jamais me manquer de respect et de ne pas me parler de tes histoires. » Le décor est planté. Une fois de plus, Francis Heaulme se montre « très attentif », « très serviable ». Le genre de gars à qui l'on fait confiance en établissement pénitentiaire. « Ce n'était pas une balance », appréciait Pascal M.
A force de se fréquenter, ils se connaissent. Aussi, lorsqu'un jour, Pascal M. trouve Francis Heaulme « différent, angoissé, stressé », il cherche à savoir pourquoi. « Je ne peux pas te le dire », répond l'intéressé, se rappelant sans doute du pacte passé lors de leur rencontre. « Francis, tu veux me parler ? » Francis saisit l'occasion et en vient aux faits. Le 28 septembre 1986, il devait aller voir le médecin parce qu'il s'était blessé à la cheville. Il y avait trop de monde dans la salle d'attente, il était parti et s'était rendu sur la tombe de sa mère au cimetière de l'Est, comme chaque dimanche. Sur le chemin du retour, il avait acheté de l'alcool qu'il est allé boire dans un square avec des copains. La chaîne de son vélo avait sauté. C'est à pied, marchant à côté de son vélo qu'il était passé sous un pont depuis lequel des enfants lui avaient jeté des pierres. « Ça l'a un peu énervé le Francis… »
Francis Heaulme serait monté sur le talus, aurait couru après les enfants, les aurait attrapés et tués à coups de pierres. « Il racontait les choses avec un tel détachement. Je n'arrivais pas à le croire», relate Pascal M. « T'étais raide défoncé, t'arrivais même pas à monter le talus et tu veux me faire croire que t'as couru après deux gosses ? – Ben ouais », lui aurait répondu Francis Heaulme.
A plusieurs reprises, Pascal M. tente d'amadouer l'accusé et de l'inciter à parler. « J'aime ta franchise, Francis. J'aime l'homme que tu es. T'as fait des conneries, mais je ne te juge pas ». Puis, s'adressant à la cour : « J'ai compris sa souffrance, la galère dans laquelle il s'était mis. J'avais envie de l'aider. Francis reste mon ami, si je suis là, c'est aussi pour lui. »
Le mutisme et l'apathie de Francis Heaulme font sortir Pascal M. de ses gonds. « Si j'ai menti, que Francis le dise ! » « Est-ce qu'il a menti ? » demande le président. « Je ne lui ai jamais parlé de Montigny », s'entête l'accusé.
« S'il est capable de me regarder dans les yeux et de me dire qu'il ne m'a jamais parlé de Montigny, alors mon regard sur lui va changer. » L'argument semble toucher Francis Heaulme qui finit par admettre : « Oui, je t'ai parlé de Montigny, mais je ne t'ai jamais dit que j'avais tué les enfants. J'ai reçu des jets de pierres par des enfants mais quand je me suis arrêté, il n'y avait plus personne. »
Le verdict est attendu jeudi 18 mai.