12 ans pour le cerveau du « casse du siècle », le double braquage de la bijouterie Harry Winston, cela paraît bien peu. D’autant que Douadi « Doudou » Yahiaoui, 50 ans, est en état de récidive criminelle et encourt la réclusion criminelle à perpétuité. D’ailleurs, ce n’est pas la peine prononcée mais celle que l’avocat générale Sylvie Kachaner a demandé, au bout d’un réquisitoire sobre, pédagogue et truffé d’articles du code pénal, mardi 24 novembre.
12 ans pour Doudou, ce n’est pas un cadeau pour son avocat Frédéric Trovato qui se lève, jeudi 26 février, pour parachever cette audience de quatre semaines à la cour d’assises de Paris. Que reste-t-il à plaider lorsque le ministère public fait preuve d’une telle clémence ? La défense ne doit pas laisser paraître qu’elle se contenterait bien des peines requises, au risque de voir le verdict dépasser les demandes de l’accusation. Alors, l’avocat plaide comme si l’avocat général avait requis 20 ans – avec peut-être moins d’emphase et une indignation plus sobre, nuancée. « 12 ans requis et ce dans une affaire où, faut-il le rappeler, la vie humaine n’a pas été brutalement retirée », rappelle l’avocat. À la barre, face aux jurés, il vient de débuter l’ultime plaidoirie du procès du double braquage de la bijouterie Harry Winston.
L’avocat s’applique à minimiser la gravité des faits, dégonfler l’aura quasi démoniaque de son client qui a pesé sur les trois semaines de débat. Le Doudou machiavel du braquage, plaide l’avocat, est une « construction intellectuelle ». « Le cerveau du "casse du siècle" ? Ça, c’est la presse. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas le cerveau du siècle », et au vu des faits il est presque malhonnête de lui attribuer un génie du crime qu’il n’a nulle part démontré. Il relativise la compétence des braqueurs : « Dans une opération de ce type, il y a toujours une part de chance. » Il banalise l’ampleur de l’enquête : « Une semaine d’enquête sur Facebook pour identifier le "cerveau". Très dure, cette enquête », envoie-t-il à l’adresse de la Brigade de répression du banditisme (BRB), qui a conduit les investigations. L’instruction a duré cinq ans, le dossier fait 51 tomes.
« 12 ans, c'est excessif pour une affaire où le sang n’a pas coulé »
Assis sur la plus haute marche du box, les jambes écartées et les yeux souvent tournés vers les hautes fenêtres de la cour d’assises ou le plafond grillagé de son box, Doudou contemple la péroraison de son défenseur. Frédéric Trovato pilonne l’enquête, moque l’emballement médiatique et exhorte le jury à voir en son client un malfrat lambda qui a eu son compte, qui ne veut plus se battre contre la justice. C’est pour cela, conclue-t-il, que les 12 ans requis sont « excessifs ». Excessifs, car après presque six ans de détention provisoire « pour une affaire où le sang n’a pas coulé », Douadi Yahiaoui n’est plus, explique-t-il, le danger qui l’a conduit a passé 23 ans de sa vie en prison – pour des trafics de stupéfiant. C’est un homme fatigué, dépassé par la violence des jeunes qu’il tentait de canaliser en prison, repus des méfaits qui ont rythmé sa vie. Un homme qui n’aspire qu’à se reconstruire auprès de sa compagne et de sa fille de sept ans.
Même stratégie pour Me Benoît David, l’avocat de Farid Allou, 49 ans. Avant la suspension de mi-journée, il a plaidé la part lumineuse de la personnalité de son client. Dix ans ont été requis contre le chef opérationnel des deux braquages, le « barbouze » qui comparait pour la quatrième fois devant une cour d’assises pour des faits semblables. Farid Allou l’infortuné. Placé dans un pensionnat violent à l’âge de 8 ans, ramené en Algérie à 12 ans et, finalement, livré à son destin lorsqu’advient sa majorité. Puis c’est la « maladie honteuse » en 1985. Farid Allou a 20 ans : « Il n’y a pas de traitement, on sait qu’on va crever, alors on veut sentir la substantifique moelle de la vie. » S’en suivent 25 ans de braquages, une vie de délinquant. « La morale fait de lui un brigand », souffle son défenseur.
« Farid Allou, c’est celui qui tient son sac en bandoulière comme Bernadette Chirac »
Sur le double coup de Harry Winston, Farid Allou, c’est le papa de la bande. Me David passe en revue les témoignages des témoins et en extrait les descriptions qui semblent correspondre à son client. Il n’est pas de ceux qui ont tiré une employée par le chignon, frappé un autre dans le dos. Sur les vidéos de surveillance, il apparaît comme le plus calme. À cette victime qui a ouvert les coffres, le présumé Allou aurait dit : « Ne t’inquiète pas, je suis le moins violent », avant de l'accompagner ouvrir les coffres. « Farid Allou, c’est celui qui s’habille en Ma Dalton pour monter sur un braquage, c’est celui qui tient son sac en bandoulière comme Bernadette Chirac. »
Farid Allou, surtout, est gravement malade. Ce n’est qu’au prix d’un interminable combat procédural, après trois ans de détention provisoire, que le juge d’instruction l’a libéré. « C’est une demande de prolongation de la détention provisoire qui a été refusée. Le magistrat a mis en avant des considérations humanitaires qui, dans ce cas, doivent primer sur la logique juridique », explique Me David. Aujourd’hui, au moment de condamner l’auteur d’un double braquage en récidive, c’est encore selon lui la notion de dignité qui doit primer sur la froide logique juridique. Il demande que la peine soit aménagée, fait même valoir des considérations financières – qui viennent opportunément épauler la dignité humaine : « Je vais être cynique : ça coûte combien à entretenir un détenu si malade ? Beaucoup plus qu’en liberté. »
Et Me David finit sur cette simple exhortation : « Farid Allou est coupable et vous allez le condamner, mais vous n’allez pas l’incarcérer, car Farid Allou est mourant. »
Enfoncé dans son fauteuil à roulettes, de petites lunettes rondes au bout de son gros nez crochu, le vieux braqueur n’a pas cillé. Comme les six autres accusés qui comparaissent libres, il viendra le lendemain faire son ultime déclaration, avec son baluchon. Paré pour la prison.