Grande taille, larges épaules enveloppées dans une parka rouge sang, voix puissante, boule à zéro et paluches de carreleur : Jean en impose. Une impression contrebalancée par un regard doux et des réponses teintées de poésie. Quand la présidente l'interroge sur ses deux mois de détention provisoire, l'homme de 49 ans souffle : « C'est dur à cause des autre détenus. C'est que de la violence là-bas. Tout le monde est énervé, même les surveillants. Moi la violence c'est pas mon truc. Je préfère la musique, la nature, la gentillesse. »
En cette après-midi du mois d'août, les bancs de la salle des comparutions immédiates sont vides. Hormis les robes noires, il n'y a personne pour assister au balai de ces hommes malheureux qui, pour l'écrasante majorité, repartent en détention à l'issue des débats. Pour Jean, le parquet a opéré un regroupement de procédures. On lui reproche un vol d'outillage dans les locaux de l'école de commerce nantaise Audencia, en août 2020, et divers délits commis en 2021. Reconnus par l'intéressé, ils se confondent avec des cris de détresse. Le psychiatre qui s'est brièvement entretenu avec Jean à la maison d'arrêt a parlé de décharge pulsionnel. « Vous en voulez à la société et de temps en temps il faut que ça sorte », paraphrase la présidente en reprenant le rapport.
Dans la soirée du 12 mai, Jean est allé de lui-même se dénoncer au commissariat de Waldeck-Rousseau pour des dégradations. À deux reprises, à quelques jours d'intervalles, il s'en était pris à un Crédit Mutuel et une autre agence bancaire. Pour la première, il a dézingué le distributeur de billets à coups de pierre et pour le second il a incendié le présentoir avec les enveloppes et bordereaux de chèques qui trainaient. La présidente, bien au fait des raisons de la colère, questionne quand même Jean. « Je voulais faire une bêtise, j'en avais marre d'être dehors » répond-t-il, le sommet de la vitre du box recouvert de ses aisselles. Jean a peu ou prou la même explication pour ses bobards ayant entraîné des recherches inutiles, le 17 janvier. Ce soir-là, Jean a appelé le SAMU en expliquant qu'il se baladait en centre-ville avec un fusil d'assaut et qu'il n'allait pas tarder à faire un carnage au hasard. « C'était pas très malin de ma part, j'aurais pas dû faire ça même si j'étais énervé ce jour-là », regrette Jean.
La reste de la procédure, qui a entrainé son interpellation et son placement en détention provisoire, inquiète davantage le tribunal. Depuis bientôt deux ans qu'il est à la rue, Jean a ses habitudes dans le cossu quartier Saint-Félix, situé à moins de cinq minutes du commissariat, de l'autre côté de l'Erdre. Outre une boulangerie très prisée, la place du même nom abrite une église néogothique tristement connue pour avoir accueilli l'enterrement d'Agnès et des enfants de Ligonnès, le 28 avril 2011. La présidente interroge Jean sur ce lieu. « C'est vrai que j'allais souvent faire un tour là-bas démarre-t-il. À la sortie de la messe je demandais une petite pièce et puis des fois j'allais prier aussi. Dans ma situation faut bien s'en remettre à Dieu en espérant un p'tit miracle. » Le 9 juin, « pris d'une pulsion », Jean a baissé son pantalon dans l'enceinte de la bâtisse et a commencé à se masturber. Seule une paroissienne, avec laquelle il avait déjà discuté précédemment, a assisté à la scène. La femme l'aurait vivement inviter à ranger son matériel sans lui en tenir rigueur outre mesure.
« Je prends un peu de shit un peu de coke mais des fois la coke c'est du crack »
Jean a quitté les lieux et est revenu le lendemain. Au départ pour s'excuser. Mais il a en fait empoigné la paroissienne par derrière et a tenté de l'étrangler, selon elle, avec un foulard. Alertés par les cris de la victime, des témoins ont mis Jean en fuite. Celui-ci conteste l'intentionnalité de l'agression, en répétant qu'il n'a jamais voulu faire de mal. « J'en avais marre d'être seul je voulais seulement parler à quelqu'un », précise-t-il. Concernant le foulard, un épais brouillard entoure ses souvenirs. Une amnésie potentiellement causée par le mélange d'alcool et de drogues. « Je me fournis dans la rue, quand j'ai un peu d'argent, ou alors on s'arrange. Je prends un peu de shit un peu de coke mais des fois la coke c'est du crack. J'ai besoin de ça parce que la rue à bientôt 50 ans c'est dur vous savez. Quand j'étais jeune j'étais vigoureux mais c'est plus le cas. »
Avant de dégringoler, Jean se débrouillait avec des petits boulots. Il a notamment travaillé dans la vente à domicile et dans le maraichage. Selon ce qui ressort de la brève enquête de personnalité, un vol de papiers est à l'origine de la perte de son logement. Le piège s'est ensuite refermé compte tenu de son isolement. Alors que le procureur à sa droite tente de lui dire que ce n'est pas le moment, un des assesseurs s'enquiert de la situation de Jean. « Je voyais une assistante sociale oui mais depuis quelques temps c'est difficile, si vous saviez le nombre de dossiers qu'elle a à traiter la pauvre dame », répond-t-il. Evoqués en début d'audience, les troubles psychiatriques du prévenu reviennent alors comme un boomerang. « Ça fait 25 ans que j'ai été diagnostiqué schizophrène, en ce moment c'est les démons et les anges dans ma tête », assure Jean. « Monsieur n'a strictement rien à faire dans le box d'un tribunal », s'emporte son avocate, particulièrement remontée contre les conclusions de l'expert psychiatre qui n'a pas relevé d'altération du discernement.« La première garde à vue de monsieur quand il s'était dénoncé avait été levée pour l'hospitaliser et après la deuxième en juin il a été hospitalisé une semaine... C'est n'importe quoi. Auquel cas vous le déclareriez responsable pénalement, je rappelle qu'il a d'emblée reconnu les faits et quoi qu'on en pense je reste persuadé qu'il n'a jamais voulu faire de mal »
Interrogé sur son traitement, Jean concède que ses prises de Tercian ont été irrégulières ces derniers temps. « À Saint-Jacques c'est "prends tes médocs et casse-toi" ! » bougonne-t-il. Pour le procureur, « l'essentiel du dossier concerne la situation de monsieur mais il doit aussi entendre qu'il a un rôle à jouer et que c'est de sa responsabilité de ne pas se comporter comme il l'a fait. » Une année de détention plus deux années de sursis probatoire sont requises.
Après délibération, le tribunal retient l'altération du discernement et réduit la sanction à six mois de prison avec maintien en détention, plus 18 mois de sursis probatoire pendant deux ans. Au cours de cette période, Jean devra justifier de la poursuite de soins, fixer sa résidence dans un lieu déterminé et indemniser les parties civiles. Jean était connu de la justice pour trois vieilles condamnations réhabilitées et un outrage dans les transports, en avril 2020.