Depuis son premier procès au mois de février, Stéphane A. s'est coupé les cheveux. Fini le look « baba cool » que décrivaient les journalistes à l'époque, il apparaît comme un quadragénaire lambda à l'air sympathique, bien décidé à laver son honneur et retrouver son emploi.
« Je ne sais pas ce qui est vraisemblable et ce qui ne l'est pas, je vous raconte simplement ce qui s'est passé », déclare-t-il à nouveau devant des juges dubitatifs.
En février, il était jugé pour dénonciation de crime imaginaire. Relaxé. Le tribunal avait considéré que les procès-verbaux recueillis par les policiers n'avaient pas de valeur, annulant une bonne partie de la procédure.
Quelques jours plus tard, le parquet, blessé, mais pas vaincu, faisait appel de cette décision. Voici donc à nouveau Stéphane, qui maintient ses déclarations : « Ce qui s'est passé, c'est que je me suis bien fait agresser. »
Les faits remontent au 14 décembre 2015. Un mois après les attentats de Paris, l'instituteur dans une école maternelle d'Aubervilliers déclarait qu'il s'était fait agresser par un homme cagoulé, dans son établissement, qui lui aurait dit : « C'est Daech, c'est un avertissement, ça ne fait que commencer. » Il n'en fallait pas plus pour que son histoire prenne immédiatement une dimension nationale et que la presse s'en empare.
Mais l'après-midi même de son agression, à l'hôpital, Stéphane revenait sur sa version. Il reconnaissait devant les policiers qu'il ne s'était jamais fait agresser, qu'il avait inventé cette histoire de toutes pièces et qu'il s'était auto-mutilé à l'aide d'un cutter pour alerter l’Éducation nationale sur les risques d'une attaque terroriste dans les écoles.
Quelques jours plus tard, à sa sortie d'hôpital, il faisait une nouvelle volte-face : l'agression était bien réelle, les policiers lui avaient soufflé cette version pendant son hospitalisation, profitant de sa faiblesse.
Pourquoi ce premier revirement, le jour des faits, lui demande la présidente ? « Je ne me souviens pas d'avoir eu un revirement. J'étais dans les vapes, hospitalisé, sous morphine. Les policiers m'assaillaient de questions. Je n'avais qu'une envie, c'est de me mettre en boule et que ça s'arrête. »
Et puis, il ajoute : « Honnêtement, si on m'avait demandé si j'avais assassiné John Fitzgerald Kennedy, j'aurais avoué. » Il est interné d'office pendant une semaine. Il déclare qu'il ne reprend véritablement connaissance que quelques jours plus tard, quand il voit sa sœur pour la première fois, alors qu'il était resté isolé jusqu'ici.
« Une personne qui est suspectée doit le savoir, c'est le droit le plus élémentaire »
La présidente revient sur quelques points obscurs de cette agression : « Cette personne serait venue sans arme, et vous aurait agressé avec votre propre cutter ? » L'instituteur ne se démonte pas : « A priori, oui. Il m'a d'abord sonné en me frappant sur la table, avant de me mettre des coups de cutter et de ciseaux, dans le cou et dans le flanc. – Mais pourtant, vos lunettes ne sont pas cassées, constate la présidente. – Non, à ce moment-là, je les avais retirées. »
La procureure l’interroge sur les problèmes psychologiques rapportés par les médecins : alcoolisme, tentative de suicide. « C'était fini depuis cinq ans », déclare Stéphane. Son avocate confirme : le psychiatre qui le suivait occasionnellement déclarait que son patient allait parfaitement bien, qu'il ne faisait pas face à des « démons intérieurs ».
On entend la femme de Stéphane à la barre, également directrice de l'école maternelle : « Penser qu'il a pu s'infliger lui-même quatre coups de cutter dans le flanc et dans la carotide, se frapper la tête contre le mur, tout ça pour alerter sur la possibilité d'une attaque terroriste, c'est tout simplement du délire ! »
Comme tout le monde, elle a d'abord appris le revirement de son mari par la presse, alors que la police lui interdisait de le voir. Quand elle demande des explications au quai des Orfèvres, elle se voit répondre : « C'est une affaire d’État. Les policiers communiquent directement avec le ministère, qui décide ou non de partager ses informations avec la presse. »
On essaye alors de l'interroger sur l'état d'esprit de Stéphane avant l'agression : « Il allait parfaitement bien. » Des collègues indiquent qu'il avait partagé, quelques jours plus tôt, un article de Mediapart alertant sur les risques d'attentats dans les écoles : « C'est exact. Et alors ? Moi aussi, j'avais partagé cet article. »
Avant les réquisitions, Me Saidi-Cottier, l'avocate de Stéphane, demande l'annulation du premier procès-verbal, l’interrogatoire pendant lequel son client déclare qu'il a tout inventé. C'est le seul qui n'ait pas été invalidé par le premier procès.
« Cette première audition ne vaut rien. » Selon elle, personne ne lui a rappelé ses droits, ni indiqué qu'il était suspecté d'une infraction : « Une personne qui est suspectée doit le savoir, c'est le droit le plus élémentaire. » Elle rappelle qu'au moment de cet interrogatoire, Stéphane était dans un « état de confusion mentale énorme, clairement drogué à la morphine, un opiacé très puissant ».
Si cette audition est annulée, il ne reste plus rien dans le dossier qui permette de mettre en cause Stéphane. La procureure s'accroche donc : « Il s'agit d'une audition de victime, il n'est absolument pas mis en cause au début de cette audition. Rien n'oblige les policiers à signifier les droits dans ce cas-là. »
Pour elle, l'interrogatoire se déroule de manière tout à fait normale. Ce n'est que lors de la dernière question, quand les policiers demandent « Vous avez l'air troublé, Monsieur. Voulez-vous ajouter quelque chose ? » que Stéphane change de version, et devient donc suspecté d'une dénonciation d'un crime imaginaire. Il est alors placé en garde à vue.
Dans ses réquisitions, elle regrette l'état des investigations : « Effectivement, l'enquête s'est arrêtée brutalement quand Stéphane a dit qu'il avait menti. » Aujourd'hui, tous les éléments qui pourraient corroborer son histoire ont été détruits, notamment un bonnet qui aurait pu servir de cagoule, retrouvé sur les lieux, et sur lequel aucun prélèvement n'a été fait : « Tout le monde le regrette. »
Sans preuve du mensonge de l'instituteur, elle tente de s'en tirer par une jolie lapalissade : « Des déclarations que je considère comme mensongères, car elles ne correspondent pas, selon moi, à la réalité. » Pour elle, le prévenu s'est retrouvé prisonnier de son propre mensonge, une version dont il n'arrive plus à sortir aujourd'hui.
Elle requiert une peine d'avertissement de quatre mois d'emprisonnement assortie du sursis.
« Si son histoire était si aberrante, pourquoi tout le monde y a-t-il cru ? », demande l'avocate de Stéphane : « Les journaux, les ministres, les médecins qui l'ont examiné, ses collègues, sa famille ? »
Elle regrette également l'état de l'enquête qui ne permettra jamais de faire la lumière sur cette agression : « On ne peut pas se fonder sur ces investigations pour prononcer la culpabilité. » Elle constate qu'il n'y a aucune preuve formelle de son mensonge. Or, rappelle-t-elle, c'est à l'accusation de prouver la culpabilité de son client, pas à celui-ci de démontrer son innocence.
Dans l'éventualité où le premier procès-verbal ne serait pas annulé, auquel cas la procédure ne tiendrait plus, elle demande la relaxe de son client au bénéfice du doute.
Stéphane A. devra attendre le 10 février pour connaître la décision du tribunal. Depuis un an, sa femme et lui multiplient les courriers au rectorat pour qu'il puisse retrouver son emploi. Jusqu'à aujourd'hui, ils n'ont toujours pas eu de réponse.
[Mise à jour] Le 10 février, Stéphane A. a été relaxé à nouveau par le tribunal.