Faites entrer le retraité

À l’énoncé de son nom, Daniel, 72 ans, se lève péniblement. Clopine vers la barre. « Voulez-vous vous asseoir ? propose le juge. Ça ne changera rien à l’application de la loi. – Non, ça ira », répond Daniel. Voûté, béquille en main, ce retraité de la RATP semble inoffensif. Sauf aux yeux de Mélanie, gamine androgyne de 18 ans, coupe garçonne, qui l’accuse de l’avoir roustée à coups de bâton.

Le juge parcourt l’enfance de Mélanie. La mort de son père quand elle avait cinq ans. Une mère qui s’occupe seule du foyer. L’arrivée dans leur vie de Daniel, le voisin du dessous, la solitude comme liant : « J’emmenais la petite à l’école, préparais les repas. J’ai même les clés de l’appartement. J’ai perdu 13 ans de ma vie ! »

« T’es pas mon père, connard ! »

Ces derniers temps, les deux ne se supportent plus. Le 4 septembre, Mélanie descend voir Daniel, pour un énième service. Qu’il refuse. Il embraye sur la rentrée des classes, lui reprochant de ne pas avoir de job alimentaire. « Ta mère ne va pas tout payer », lui rabâche-t-il. Pour toute réponse, un laconique : « T’es pas mon père connard ! » Furieux, il la traite de « salope », de « grosse gouine ». Elle détale. Il la file. L’embrouille redémarre, cette fois chez Mélanie. Les noms d’oiseaux épuisés, Daniel prend un bâton et frappe.

Il conteste : « Je ne l’ai pas touchée, elle s’est blessée en faisant du skateboard. » Elle coupe : « Vendredi dernier, ce monsieur m’a suivi dans l’immeuble avec une batte de base-ball – Elle fait que de mentir n’importe comment (sic). » Compréhensif jusque-là, le juge vire au rouge. Furieux de voir son tribunal se transformer en PMU.

Il reprend le contrôle des débats. « Où vous a-t-il frappée ? – Sur le pied gauche », assure Mélanie. Long silence. Le magistrat relève la tête du dossier. « Le problème, c’est que le deux médecins vous ayant examinée parlent d’un hématome au pied… droit. » Mélanie bafouille : « Ça fait longtemps, je ne me rappelle plus. » Le juge lui demande combien elle réclame de dommages et intérêts. Elle hésite. « 400 euros », lâche-t-elle, comme si elle répondait à Philippe Risoli lui demandant de deviner le prix d’un ensemble à raclette.

« Comme je doute, je vous relaxe »

Le juge s’en remet au procureur : « Bon ! Madame le procureur vous a entendus. Elle saura ce qu’il faut faire. » Elle grimace. Fait remarquer que Daniel n’est plus un « jeune homme fringant », qu’il est aisé de le fuir. Constat : pas assez d’éléments pour le condamner.

Même son de cloche du côté de l’avocat de Daniel. Ce différend n’a pas sa place dans un tribunal. Dans une courte plaidoirie, il casse l’image de jeune fille sage. Sa mère ne sait plus quoi faire à son sujet : absences répétées au lycée, orientation chaotique, impertinence quotidienne. Et ce pauvre Daniel ? Un altruiste qui a hébergé la famille pendant deux ans, s’est occupé de Mélanie depuis ses 5 ans.

La plaidoirie achevée, le juge réfléchit : « La question que je dois me poser, c’est de savoir si je dois envoyer monsieur en prison. Comme je doute, je vous relaxe. Mais vous avez intérêt à ce que la police n’intervienne plus dans vos relations. » En ultime précaution, le juge intime à un policier d’escorter un Daniel remonté à bloc hors de l’enceinte du Palais de justice.

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