Comme au théâtre, le président restitue les faits reprochés à Rachid en deux actes. Pas pour amuser la galerie, mais pour simplifier l'intrigue, car, prévient-il : « Les faits sont malins. » Rachid, cheveux frisés, bras croisés, penche la tête pour se concentrer sur le récit. C'est parti.
« Acte I » – Le 25 janvier, à 12 h 30, Souleymane se présente au commissariat de la gare du Nord, raconte qu'un passant a fait tomber une enveloppe à son niveau. Trop pressé de prendre son train, il n'a pas calculé. Jusqu'à ce que Rachid, derrière lui, ne la ramasse et s'adresse à lui : « Psssst ! Mon frère ! T'es musulman ? Ya 20 000 euros là-dedans. On va se partager tout ça ! »
Le président coupe son exposé pour regarder Rachid avec mépris : « Et s'il avait été breton, ça changeait quelque chose ? Pourquoi distinguer ? »
Blasé, le magistrat revient aux faits du 25 janvier. 10 000 euros valant bien un petit détour, Souleymane suit Rachid jusque dans un hall d'immeuble. Mais à peine arrivés, le propriétaire de l'enveloppe leur emboîte le pas, pousse une gueulante et menace de porter plainte si les deux crapules ne lui versent pas une compensation financière.
Le stratagème trop lourdingue, Souleymane comprend que les deux sont de mèche. Et les deux comprennent qu'il a compris. Rachid lui saute dessus avec une lame de 40 cm, mais le bougre se défend et s'enfuit… avec le portefeuille de Rachid, tombé dans le feu de l'action. À l'intérieur, la carte d'identité du filou, que Souleymane ne manque pas de présenter aux policiers.
« Acte II » – Moins d'une heure après l'arrivée de Souleymane au commissariat, Rachid débarque à son tour. Il prétend s'être fait rapiner son portefeuille, dans lequel dormaient 700 euros ! À ses dépens, le prévenu apprend que les policiers communiquent entre eux : ils découvrent que Rachid ressemble beaucoup à l'agresseur dont parlait Souleymane. Et que l'assaillant que décrit Rachid rappelle étrangement Souleymane.
Persuadés qu'on se fout d'eux, les policiers mènent l'enquête et découvrent un Rachid coutumier des faits. 2004 : escroquerie. 2012 : escroquerie. 2013 : vol. Quant au casier de Souleymane, étranger venu en France pour affaires, il est vierge.
« Que pensez-vous de tout ça ? interroge le président après avoir exposé les faits.
– J'ai pas agressé. C'est lui. Il m'a pris 700 euros, copie-colle Rachid.
– Donc vous maintenez votre plainte du 25 janvier ?
– Eh oui. Il m'a pris mon portefeuille en force, avec 700 euros dedans.
– Bon, sur les faits, tout le monde a compris le système ? » demande une dernière fois le président.
Rassuré par le « oui » général, il laisse la parole au procureur. La jeune femme se dit « très en colère » contre un prévenu que tout accuse, qui a le culot de faire porter le chapeau à sa victime. Elle requiert huit mois ferme avec maintien en détention.
L'avocate de la défense se lève, coupée dans son élan par un téléphone qui sonne. « Le porteur du téléphone est prié de sortir tout de suite », enrage le président. Une avocate se lève pour partir, tête baissée. « Ah pardon, maître ! » sourit le président, lui faisant comprendre de se rasseoir.
« Moi aussi, je suis très en colère », déclame l'avocate de Rachid, en écho aux réquisitions. En colère que le dossier ne se fonde que sur le casier de son client. « À 47 ans, sa dernière condamnation date de 2013, s'agace-t-elle. Depuis, monsieur s'était rangé. » En colère que les policiers n'aient procédé à aucune vérification des dires de la victime : « On ne lui demande ni passeport, ni visa, ni billet. » Face à un dossier qu'elle estime vide, elle demande la relaxe.
« Je demande pardon à la justice », conclut Rachid. Un avocat, présent pour une autre affaire, pouffe de rire : « Il demande pardon ! C'est une cata », lâche-t-il à sa voisine. Après délibération, le tribunal va au-delà des réquisitions et condamne Rachid à un an de prison ferme avec maintien en détention. « Le tribunal a voulu vous faire comprendre qu'à votre âge, vous n'avez plus à jouer à ces jeux-là », lui explique le président.