« Vous avez dit : "Je vais tuer la préfecture, l’armée, la police."
– Non, non, c’est pas vrai, madame la juge !
– Monsieur, on ne peut pas parler en même temps. Là, c’est mon temps ! »
La béquille tremble sous son poids. Il boite. Exceptionnellement, il est autorisé à rester assis. Son bras gauche est retenu par une attelle qui entoure son buste. Sa main pendouille. L’AVC dont il a été victime en 2015 l’a handicapé à 90 %. À savoir qui de cet accident ou de son parcours de vie chaotique est responsable de sa mine fatiguée, la réponse n’est pas simple.
« Ils donnent une carte de séjour à tout le monde, et moi non »
Monsieur H. n’est pas méchant, il est juste en colère contre la préfecture du Rhône qui ne souhaite pas lui fournir un titre de séjour. Il est en situation irrégulière et ne lâche rien : tous les jours, il se rend à la préfecture pour tenter d’obtenir son précieux sésame. Son passeport algérien lui a été confisqué il y a trois ans. Il a reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai en 2017 et une interdiction de territoire de trois ans, mais ne les a jamais mises à exécution.
« Monsieur, reconnaissez-vous les menaces ?
– J’ai menacé personne. Ils donnent une carte de séjour à tout le monde, et moi non. Je n’ai pas d’ami, pas de famille », répond-il en larmes.
Tous les jours, la foule est immense. Dès l’aube, des centaines de personnes attendent leur tour au 97, rue Molière dans le troisième arrondissement de Lyon. Le service Séjour, travail et naturalisation des étrangers délivre, ou pas, les titres de séjours et récépissés. Trois de leurs agents ont porté plainte contre monsieur H. pour menaces de mort devant le bâtiment administratif les 23 août et 3 septembre 2019.
« Le 23 août, à 9 h, aux abords du guichet, vous auriez dit "je vais revenir avec un couteau, faire comme les Arabes et le cousin" et vous auriez craché sur les vitres.
– Non non ! »
Dix jours plus tard, il ponctue sa visite quotidienne d’un « enculés, connards, je vais prendre un couteau, je vais vous foutre en l’air. Tu vas voir, je vais revenir avec la famille. » Quelques jours après l’attaque à l’arme blanche à Villeurbanne qui a fait un mort et huit blessés, cette profération du terme « couteau » passe mal.
« Deux bières par jour, pour la douleur »
« J’ai pas de famille, madame. Toute ma famille est morte ! Les insultes, non, c’est faux ! J’ai craché, oui, voilà j’avoue, j’ai craché.
– Voilà, merci, monsieur. »
La ligne suivante du procès-verbal précise la stratégie de défense employée ce même jour par les agents de la préfecture pour obtenir la tranquillité pendant leur pause : « Dégage dans ton pays de merde. »
Monsieur H. est arrivé en France en 2003. L’expertise psychiatrique réalisée pendant sa garde à vue précise qu’il a une légère altération du discernement. À la lecture du rapport, sa tête tremble, comme s’il acquiesçait. En prison, les angoisses ont commencé à l’envahir. Il s’automutile. À sa sortie, son cerveau craque : il est victime d’un AVC. Son état dépressif se confirme. Après avoir été privé de liberté en détention, il le sera également à Saint-Jean-de-Dieu, hôpital psychiatrique lyonnais.
Monsieur H. a un niveau intellectuel faible, mais « dans la normale ». Toujours d’après l’expert, il vit dans une grande précarité sociale et doit prendre des anxiolytiques. « Il n’est pas dangereux d’un point de vue psychiatrique », conclut-il.
« Vous avez eu un diplôme de menuisier en Algérie ? C’est intéressant de savoir ça, monsieur.
– Oui oui, mais après le chantier a fermé, plus rien. »
En France, il a travaillé au noir sur les marchés, puis en prison. Il n’a aujourd’hui ni revenu, ni allocation. S’il consomme de l’alcool ? « Oui, deux bières par jour, pour la douleur. »
« En tout cas, monsieur dormira à la maison d’arrêt ce soir ! »
L’avocat des partie civiles n’aura pas le temps de terminer sa plaidoirie que Monsieur H., ne tenant plus en place, demande à sortir de la salle. Il n’entendra donc pas ces arguments : « Mes clients sont le réceptacle de toute la violence des personnes déboutées d’asile. Il a quand même fallu de menaces pour qu’ils se décident à porter plainte ! » Il part avec les policiers. Ses sanglots que l’on entend depuis la salle rythment les réquisitions de la procureure. « Monsieur a un comportement totalement inadapté. On le voit sur la vidéosurveillance : il est virulent et agressif. Lorsqu’on le voit, on peut comprendre que les trois hommes soient excédés. En tout cas, monsieur dormira à la maison d’arrêt ce soir ! » Elle requiert hiut mois d’emprisonnement, dont quatre mois ferme avec mise à l’épreuve et mandat de dépôt, une obligation de soins psychiatriques, une interdiction à paraître à la préfecture et une indemnisation des parties civiles.
Son avocate, quant à elle, comprend qu’il puisse avoir un comportement « pesant ». D’après elle, il se sent « stigmatisé par la préfecture » et admet qu’une pointe de « délire paranoïaque » doit compléter l’équation. « On essaie de trouver une infraction. Les insultes, on s’en souvient un temps x, hein, mais on s’en souvient pas plus tard. Il y a des disparités entre les témoignages. Personne n’est en mesure de qualifier les menaces. »
Monsieur H. est relaxé des faits de menace de mort sur l’un des plaignants. Pour les deux autres, il est condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, une obligation de soins et une mise à l’épreuve.