Alors qu'il martèle la porte de l’appartement d’où jaillissent les bruits de coups et les hurlements, Kilian entend : « Il y a le feu, il y a le feu », car il y a eu une explosion, Kilian le sait et tous les habitants de ce petit immeuble du Plessis-Robinson le savent aussi, les voisines paniquées crient, et des voix enfantines proviennent de l'intérieur, alors, « sans réfléchir », il défonce la porte, attrape la petite au milieu des flammes et la sort de la fournaise. Dans l’escalier, alors que Camille est dans ses bras, elle lui dit : « Papa, il a voulu suicider Maman. » Maman, c’est Ghylaine. Elle a été arrosée d’essence et brûlée vive par son compagnon Christophe.
Les photos diffusées à l’audience de la cour d'assises de Nanterre, le 9 janvier 2020, attestent de la violence du sinistre. Tout est détruit. Les murs sont noirs de suie et, du clic-clac du salon, il ne reste qu’un morceau de métal noirci. Dans la chambre de l’enfant, un tas de jouets fondus fait de figurines et de Playmobils calcinés. Seule la chambre parentale est intacte. Sur le lit, trois oreillers dont un avec une taie Reine des neiges. La mère de la victime, bouleversée, sort de la salle d’audience, soutenue par sa fille. Selon les experts en incendie : « Seule une flamme nue de type briquet pouvait déclencher l'incendie, les effets thermiques ont été très importants. » Trois foyers d’incendie sont identifiés, le salon, la chambre de Camille et le plus important : Ghylaine. Ghylaine que la légiste examinera brûlée à 92 % avec carbonisation des membres inférieurs, sans sourcils, sans cheveux, dont les vêtements ont fondu jusqu'à ne laisser qu'un demi soutien-gorge.
Personne n’a vu le drame arriver. Ni les familles, ni les amis, ni même le coupable. Christophe, cet homme « trop gentil, effacé », « non-violent » de son propre aveu, a tué sa femme.
Lorsqu'ils se rencontrent, un soir de fête en discothèque, elle a 24 ans, un sourire ravageur, lui 30 et une personnalité plus discrète. Fous amoureux, ils emménagent ensemble, font un enfant, une petite fille prénommée Camille. Ils achètent en 2015 un appartement dans l’ouest parisien et y vivent entourés de leurs familles, de leurs amis, avec lesquels ils organisent des dîners et des soirées tarot. Leur entourage les décrit comme fusionnels, comme un couple sans histoires, même s’il y a peu de gestes de tendresse entre eux. Ghylaine s’en plaint parfois à ses sœurs, elle dit que Christophe peut être tyrannique, qu’il lui reproche les coups de fils, les kilos gardés après la grossesse, le ménage pas toujours fait comme il le souhaite. Elle attend surtout une demande en mariage. Malgré ça, Christophe est vu comme « quelqu’un de gentil et normal » par sa belle-famille.
La vie s’écoule, tranquille, ordinaire. Lui travaille depuis dix ans dans la même boîte comme technicien aéronautique, adore son job, part en déplacement à l’étranger. Il est, pour sa responsable, « un employé modèle, parfaitement intégré à l’équipe ». Ghylaine, après avoir arrêté de travailler quelques années pour s’occuper de Camille, retrouve un emploi de vendeuse dans une boulangerie en février 2017, et c’est à peu près à moment là que les choses commencent à glisser. Ghylaine et Christophe sont plus tristes, plus renfermés, ils s’éloignent l’un de l’autre. En mai, ils fêtent les dix ans de leur rencontre mais le cœur n’y est plus. Ghylaine sympathise avec un client de la boulangerie, Éric, qui devient son amant. L’été s’installe et les doutes avec lui. En août, Ghylaine laisse Christophe et Camille prendre seuls la route des vacances, avec son nouveau boulot elle n’a pas encore de congés. Elle accueille son amant au domicile conjugal et profite de ces jours de liberté, sans contraintes, sans reproches, sans disputes.
Quand Christophe et Camille reviennent du Sud, tous les trois vont passer une journée au Parc Astérix, « une journée super » selon lui. Trois jours plus tard, Ghylaine annonce à Christophe qu’elle le quitte et part pour la nuit. Le 5 septembre, un sms arrive sur le portable de Christophe : « T’es cocu, mec ! » Il ne comprend pas, son monde s’effondre, ils s’étaient dit depuis le début qu’ils en parleraient si ça n’allait plus. Elle reconnaît avoir un autre homme dans sa vie mais hésite : quitter Christophe, quitter Éric ?
Pendant trois semaines ils discutent, se disputent et réfléchissent à l’avenir. Christophe perd le sommeil, ne se rend plus à son travail. Le vendredi 22, Ghylaine décide de partir de l’appartement avec Camille. Christophe disjoncte. Il la roue de coups, prend une bouteille d’essence dans le placard de l’entrée, la verse sur Ghylaine et allume le feu sous les yeux de leur fille.
Dès l’ouverture de l'audience, face à la famille de sa conjointe, Christophe, la tête basse, vêtu d'un tee-shirt vert sur lequel est brodé le prénom de sa fille au niveau du cœur, affirme : *« Ghylaine était tout pour moi avec notre fille, j'avais l'intention de la demander en mariage. *» Il analyse les faits ainsi : « J’ai tenté de me suicider et ça a atteint Ghylaine qui ne s'en est pas sortie. » Il ne se souvient pas de l’avoir frappée, d'avoir attrapé la bouteille d'essence, de l'avoir vidée sur sa compagne. Il ne sait plus comment le feu est parti, ni comment il a été éteint.
Kilian, 16 ans, Dominique, 50 ans, et les voisines colombiennes Dora et Sandra, elles, se souviennent de ce vendredi soir paisible. « J’ai entendu des cris et des coups, puis comme un corps qu’on traîne sur le sol, j’ai pensé à une dispute de couple, ça a duré environ quinze minutes. Et puis un sifflement, une explosion, un bruit très fort, comme des vitres qui se cassent avec les flammes », dit Dora. Il est 21 h 30, les femmes, terrifiées, alertent les voisins. Tout le monde se rue vers le 4e de Christophe et Ghylaine, Kilian défonce la porte et sauve la petite Camille (« Je voulais vous remercier pour votre intervention », dira Christophe à l'audience). À l’intérieur de l’appartement, les flammes brûlent le salon et l’entrée. On ne voit rien, la fumée est trop épaisse. Ils entrent dans la salle de bains et commencent à faire une chaîne avec ce qui leur tombe sous la main pour éteindre le feu. Alors que les flammes diminuent, ils aperçoivent Ghylaine, allongée par terre entre le salon et l’entrée. « J'étais sous le choc, la femme poussait des cris effroyables et insultait son mari. Je n'ai jamais entendu ça. Quand j'ai vu Ghylaine, elle n'avait plus de cheveux, elle était toute cramée de la tête aux pieds », témoigne Kilian. Dominique raconte :
« J'ai vu la femme au sol. Le bas de son corps était noir, les flammes dans le salon léchaient le plafond, on ne voyait pas à 2 m. » La juge assesseure lui demande : « Avez-vous entendu Ghylaine ?
– Je l'ai entendue dire " espèce de connard. "
– Elle était encore en train de brûler ?
– Non, elle avait été éteinte, la dame était éteinte. J'aurais voulu faire plus, je me refais la scène tout le temps, il n'y a pas une semaine où je n'y pense pas. » Il est toujours suivi pour un syndrome post-traumatique et ne met plus les pieds au quatrième étage.
« Tu me manques, moi, fille d’un meurtrier »
Camille non plus n'a rien oublié. Du haut de ses 7 ans, elle a tout vu, tout compris. Quelques jours après les faits, début octobre, elle déclare lors d’une audition filmée par les policiers : « Vu que Maman avait trouvé un autre amoureux, Papa était fou furieux. C’est là que Papa il a sorti une bouteille de gaz, il l’a versée sur Maman et après y’a eu le feu chez moi et elle est morte. Papa l’a mise à terre et il l’a tapée beaucoup de fois. Je disais “arrête papa” mais il n’a pas arrêté. Papa a dit à Maman “je vais te tuer“, j’ai dit non, mais il voulait pas s’arrêter. Il a pris une bouteille de gaz dans la grande armoire avec les portes coulissantes, c’était la première fois que je la voyais. Il a dévissé le bouchon et versé comme ça sur Maman. » Elle reproduit un geste précis, les mains tendues vers le sol, alors que son père affirme avoir versé de l’essence un peu partout dans l’appartement, presque au hasard.
Elle a écrit dans son journal intime : « Maman, j’ai fait de mon mieux pour que Papa ne te tue pas, mais je n’y suis pas arrivée. Tu me manques, moi, fille d’un meurtrier. »
Mais l’accusé reste campé sur sa position, celle de l’accident, du suicide raté qui malencontreusement finit en meurtre. Le président, les avocats, tous, en vain, vont tenter de le faire parler des faits de cette soirée. Il se tasse sur sa chaise et il pleure. Sur Ghylaine, sur lui-même, on ne sait pas très bien.
Me Chaouat, l’avocat de la défense, tente de le faire sortir de sa torpeur : « Vous vous souvenez des mots de Ghylaine pendant le drame ?
– Oui, elle dit que je suis un connard.
– Et vous voulez rester un connard?
– Non.
– Alors il faut parler, pour les familles, pour Camille, pour vous. Vous voulez parler ?
– Oui.
– Alors parlez ! Répondez à la cour, à la famille. Dites-nous les étapes de A à Z, pas des bribes. Allez-y Christophe !
– La soirée avait pas mal commencé. Je croyais qu’on serait encore une famille. J’ai pardonné à Ghylaine de m’avoir trompé. À un moment elle a voulu partir avec Camille. Je lui ai dit : “Tu peux partir seule mais pas avec Camille.” On a essayé de parler avant d’en venir aux mains. Je pouvais l’accepter si c’était son choix mais pas avec Camille. J’ai complément disjoncté suite à vingt jours d’absence de sommeil. Je n’étais plus moi même.
– Vous lui mettez un coup, trois coups, cinq coups ?
– Je ne me souviens plus. »
Pendant toute l’audience, il se décrit et est décrit comme un homme non-violent par ses parents, ses amis, et même par la famille de Ghylaine, comme un homme qui a grandi dans un milieu stable et aimant. Il a deux frères, une enfance paisible en région parisienne. Bac pro en poche, il intègre la société Zodiac pendant plus de dix ans où il dit avoir été épanoui. Le reste du temps, il fait du foot, du vélo, de la musculation avec son frère, bricole sa voiture de collection. Avec sa fille c'est un vrai papa poule. Christophe se considère comme le « meilleur papa du monde », « avant le drame, c’est une certitude, oui ».
« Maintenant, Ghylaine est gravée sur ma peau »
Rien ne laissait présager les faits. Lui à la personnalité si lisse et tranquille, le gentil, le discret.
Pour les experts psychiatres, il ne se souvient réellement de rien, c’est « une amnésie défensive ». La psychiatre détaille : « Il s’agit du geste fou de quelqu’un de normal, il a perdu le contrôle. Une personne dans cet état ne parviendra pas à se maîtriser, il monte en pression depuis plusieurs semaines, il ne peut pas redescendre en un claquement de doigts. Il ne pouvait pas intégrer la situation et la destruction de sa structure familiale est impossible. Il est incapable de se projeter dans l’avenir autrement que dans ce schéma familial même anarchique et douloureux. Le mois de septembre est pour lui un mois d’explosion émotionnelle. » L’accusé aurait perdu le contrôle avec le manque de sommeil, son état dépressif et l’alcool pris ce soir là. Depuis début septembre, il est en état d’hypervigilance. Il apprend successivement que Ghylaine veut le quitter, qu’elle a un amant, qu’elle l’a présenté à Camille. Le psychiatre explique : « À force d’accumulation, il ne sait plus comment se positionner pour rétablir son équilibre. » Il pense d’abord qu’il va pouvoir reconquérir sa femme puis réalise qu’elle voit toujours son amant : « Je savais qu’elle rentrait avec lui en voiture, je ne disais rien, je ne voulais pas envenimer la situation. Malgré la côte qui mène chez nous, elle ne rentrait plus essoufflée mais toute fraîche. » Malgré l’insomnie et l’absence de violences physiques préalables dans le couple, on retrouve la typologie psychiatrique typique des auteurs de meurtres conjugaux.
Gravement brûlé lui aussi pendant le drame, l'accusé a récupéré de ses blessures mais garde, notamment sur les bras, de profondes cicatrices. À Catherine, sa visiteuse de prison, il dit un jour « maintenant, Ghylaine est gravée sur ma peau ».
L’avocate générale proclame dans son réquisitoire : « L’accusé affirme : “Ghylaine était tout pour moi.” Mais c’est sous sa main qu’elle est morte. Il ne prend pas ses responsabilités. (…) On ne tue jamais par amour. Par amour-propre, oui. Je demande une peine qui ne saurait être inférieure à 25 ans et le retrait de l’autorité parentale. »
Les avocats de la défense vont tenter de vanter la normalité de Christophe, ses regrets, provoquant l’agacement des parties civiles et leur sortie de la salle. L’accusé, replié sur lui-même et en larmes souhaite lire quelques phrases avant les délibérations : « Tout cela est complètement incompréhensible, j’ai complètement pété les plombs, c’est un cauchemar. On s’entendait bien Ghylaine et moi. Nous avions tout pour être heureux. Je veux vous demander pardon. »
Reconnu coupable d’homicide volontaire, il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle et au retrait de l’autorité parentale.
Quand Camille l’apprendra le soir même, elle dira : « Ça les vaut. »