« Il est pas trop choupi !? », lance à une consœur son avocate alors que les juges viennent de se retirer pour aller délibérer. « Bon, il a peut-être un peu trop parlé », tempère aussitôt la jeune pénaliste. À son arrivée dans le box des comparutions immédiates, ce 14 juin, on a senti que William avait envie de s'exprimer en le voyant d'emblée ajuster le micro à sa hauteur. Volubile, il ne l'est pas toujours. Le 22 mai, alors que le tribunal avait renvoyé son affaire, il n'était pas sorti de sa cellule pour sa 43ème comparution. « Je ne veux pas y aller, merci », avait-il griffonné sur un bout de papier transmis à la présidente. Fraichement débarquée dans la juridiction nantaise, elle ne connait pas William, à l'inverse de la plupart de ses collègues. Se penchant sur la nature des faits et du profil du prévenu, la juge avait soulevé la question d'une expertise psychiatrique, rapidement balayée. William n'est atteint d'aucun trouble, deux précédentes expertises l'ayant démontré.
Cet homme né à Nantes il y a 46 ans devient tout bêtement un autre quand il boit. « Je ne suis pas dans le déni madame la présidente, je sais que j'ai un problème avec l'alcool mais je compte bien arrêter ce poison », déclare-t-il. Rasé de près, vêtu d'une chemisette noire, l'œil alerte, William a fait des efforts de présentation. C'est même à se demander si sa tignasse brune tirant sur le gris au niveau des tempes n'a pas accueilli une pointe de gel. « En prison, l'alcool ne me manque pas », poursuit William, qui profite de ses séjours au heps, jamais trop longs, pour se requinquer. « Avec mon codétenu ça se passe bien, je vais au sport deux fois par semaine et je me suis inscrit à une formation en informatique », énumère-t-il. William aimerait cependant mettre un terme à tout ça. « À mon âge, ma place n'est plus en prison, je veux pas finir comme un homme congelé, comme les glaces quand j'étais petit... La prochaine fois que je sors, j'aimerais bien partir en cure, je suis prêt mentalement à le faire », dit celui qui ne manque pas une occasion de vitupérer contre les « sorties sèches ». La dernière remonte au mois de janvier : « C'est pas facile de sortir en plein hiver, tout le confort que j'ai à la maison d'arrêt je l'ai pas dehors, ma douche et mon café ça me prend une matinée déjà. Une fois que je suis propre, il me reste toute l'après-midi pour mes papiers. »
La justice attendait que le reste de la journée soit en effet consacrée aux démarches pour retrouver un logement et travailler sur son addiction. Or, William a séché plusieurs rendez-vous avec sa conseillère d'insertion et de probation, ce que ne manque pas de pointer la représentante du parquet. Il a préféré passer du temps avec sa mère malade. « Je l'aide moralement : je la fais rire, je lui fais un bisou, je lui offre des fleurs », égrène-t-il. Les fleurs demeurent la grande passion de William depuis une formation dans les espaces verts suivie alors qu'il était détenu. La vente de bouquets sur les marchés lui permettrait d'assurer son quotidien et de faire les courses pour sa maman de temps en temps. Mais cela reste insuffisant pour trouver un toit.
Après quatre mois à ce rythme, William a rechuté. Il se retrouve poursuivi pour des injures en raison de l'orientation sexuelle et des outrages, les dix-septième du genre. Le 18 mai, à la tombée de la nuit, victime d'un « coup de chaud », il s'est allongé à proximité d'un bar dans le centre de Nantes. William rentrait d'une escapade au nord de la ville, effectuée à pied. « La marche, c'est un peu mon sport », relève-t-il. Le taulier du café n'a pas apprécié sa présence et le lui a fait remarquer. « Sale cloch' dégage de mon bar ! », aurait lancé l'homme selon les déclarations de William, qui avait éclusé ses quatre bières quotidiennes. « Sale pédé, j'aime pas les tafioles, va te faire enculer », a répondu William dans un accès de colère. Les insultes sont reconnues. « J'ai pas honte d'être dans la rue mais quand on me frustre, je réagis », informe-t-il. Pas leur caractère homophobe. « Je ne savais pas que le monsieur était homosexuel, je n'ai rien contre le mouvement LGBT », assure William. La présidente insiste sur la nature des termes employés. « J'ai même pas vu que c'était un bar gay avec mon problème à l’œil droit », précise l'intéressé, victime d'un accident de la circulation lors d'une escapade parisienne. « Des jeunes alcoolisés m'ont renversé exprès sur les passages cloutés », bougonne-t-il.
La patrouille de CRS en faction le 18 mai à Nantes a, elle, parfaitement vu l'altercation entre William et le patron du bar. À peine s'étaient ils approchés que les policiers ont essuyé une volée de bois vert. « Ils étaient plus là pour les black block, c'est une erreur de ma part de les avoir insultés, j'étais parti dans mon répondant avec l'autre monsieur et puis voilà, une erreur de plus », rejoue William. Celui-ci ne s'est pas détendu lors du trajet vers le commissariat. « Je devais être en pleine montée d'alcool parce que je me souviens plus de ce qui s'est passé dans la voiture », commente-t-il avant de s'excuser. William est coutumier du mea culpa a posteriori.
En avril 2022, dans ce même box de la chambre des comparutions immédiates, il avait promis d'écrire une lettre repentante à des employées de mairie insultées et menacées. Leur tort ? Ne pas avoir pris en compte ses conseils pour redonner vie à certains espaces verts des quartiers nord de Nantes. « Vous venez pour un potager et vous repartez dans le panier à salades », avait alors commenté la juge, l'expression un poil remaniée se retrouvant dans la presse locale le lendemain. Egalement poursuivi pour avoir bousculé une fonctionnaire et avoir donné un coup de coude à un des policiers chargés de son interpellation, William avait été condamné à une année de prison avec mandat de dépôt. Outre une consommation d'alcool excessive, l'audience n'avait pas permis de connaître l'origine de sa colère. Cette fois-ci, le tribunal apprend que William, qui a démarré sa tournée des prétoires à près de 30 ans, ne s'est jamais remis d'une rupture amoureuse. C'était en 2005, l'année du grand saut dans le toboggan de l'autodestruction. « Pendant cinq années on a été heureux et puis la vie a fait que... », livre-t-il. Le couple partageait un appartement. « Je l'ai laissée en sécurité avec les meubles et moi je suis parti avec mes Polo Lacoste poursuit William. Après j'ai touché le fond et je me suis pas relevé tout de suite. »
Fatigué par la ville et ses « bruits de moteur », William rêve d'une nouvelle vie au vert : « Mon projet c'est de rejoindre ma grand-mère maternel de 96 ans dans le Périgord. J'ai vraiment besoin de la nature pour me ressourcer et là-bas mon profil de casanier solitaire conviendrait. Je pourrais trouver une petite ruine à retaper en accord avec le maire, ça me permettrait d'avoir une parcelle pour mes fleurs. J'ai confiance dans cette région, la Dordogne, c'est là que je venais en vacances quand j'étais jeune. »
En attendant des lendemains qui fleurissent, William est condamné à quatre mois de prison ferme avec maintien en détention et deux mois de révocation d'un précédent sursis, plus 50 euros d'amende contraventionnelle pour l'ivresse manifeste sur la voie publique. Il devra verser 150 euros à chacun des deux policiers qui s'étaient constitués partie civile et 300 euros pour les frais d'avocat. Le parquet avait demandé six mois plus cinq mois de révocation de sursis.