« C’était soit moi, soit lui »

« C’était soit moi, soit lui »

Son avocat lui avait conseillé de s’habiller très convenablement pour comparaître : elle s’est faite belle. Robe bustier crème, gilet court ajouré de dentelles, baskets assorties, coiffée, maquillée, bijoutée, elle était prête pour une cérémonie. Le cérémonial eut lieu : poursuivie pour avoir planté un couteau, « jusqu’au manche » dans l’abdomen de son copain le 16 juillet dernier, Léa, placée sous contrôle judiciaire le 19, a été jugée selon la procédure de comparution immédiate ce jeudi 23 août 2018.


Léa, 55 ans, vit sous un régime de protection civile, la curatelle renforcée, cela rend une expertise obligatoire avant tout jugement. L’expert a conclu à une altération du discernement, le tribunal la retiendra. Léa s’était préparée, elle avait noté tout ce qu’elle tenait à dire au tribunal. Léa a des problèmes de mémoire et se prend les pinceaux dans les dates et les chronologies. Elle fut diagnostiquée « bipolaire » en 2005, et avale chaque jour beaucoup de comprimés, dont un anti-dépresseur. A part ça, sa vie sentimentale bat le tambour : elle se lie en mai dernier avec un monsieur qui vit en face de chez elle. Elle finit par le trouver agressif, « jaloux-possessif », la relation est distendue. En juin elle part volontairement faire un séjour au Centre hospitalier spécialisé de Sevrey, les médecins jugent son état satisfaisant, suffisamment pour diminuer progressivement la molécule chargée de « réguler l’humeur », on lui propose même de supprimer l’anti-dépresseur, elle refuse, « j’avais pas envie de chouiner tout le temps ».


Elle rencontre alors un autre homme et se lie avec lui, elle lui raconte les désordres de l’autre, ses mauvaises humeurs que rien ne régule, des coups. L’autre en question le vit très mal, il se dit « trompé ». Le 16 juillet dernier, Léa se présente au commissariat pour porter plainte pour violences, son voisin d’en face l’a molestée, elle en a des hématomes et des traces. Mais il faut attendre son tour, elle renonce et rentre chez elle. C’est alors que le « jaloux-agressif » se pointe. On ne sait pas trop ce qu’il veut, toujours est-il que ça dégénère vite, qu’il la ceinture, qu’il la fait plier sur le côté. Léa a eu peur, dit-elle, « c’était soit moi, soit lui », elle voit un couteau, elle s’en saisit et lui plante dans l’abdomen. Le costaud (près de 110 kg) arrache le couteau de son ventre, le plante dans la porte et file chez lui appeler les secours. Étonnamment il ne dépose pas de plainte contre elle. Elle, si : il sera jugé en janvier prochain (pour la même scène, car Léa a eu 5 jours d’ITT).

« C’est un agresseur, verbal et physique »


« Violences conjugales dont on ne juge que le triste et grave épilogue », martèle maître Marceau. « Vous avez enfoncé le couteau jusqu’au manche », répète et interroge le vice-procureur Prost. « Il faut voir l’importance du coup qui a été porté », reprend maître Charbonnel pour la victime du jour. Victime d’ailleurs absente, maître Marceau bien entendu le regrette :  « Le contexte lourd dans lequel ces violences ont pris racine est bien détaillé dans ce dossier. Les messages vocaux retranscris disent l’ambiance qui régnait au sein de ce triangle : en effet monsieur était souvent accompagné de son ex, et on assiste à un début d’emprise sur Léa. Ils squattent chez elle, la privent de son téléphone, de ses clés. C’est un agresseur, verbal et physique. » L’avocat plaide la relaxe, le parquet requiert une peine mixte (un peu de prison ferme et du sursis mis à l’épreuve).


Pourquoi Léa est-elle sous curatelle renforcée ? Le président Jacob le lui demande : « Je l’ai voulu, parce que je suis quelqu’un de généreux, qui donne facilement son argent. On m’avait extorqué jusqu’à 5000 euros, sur Meetic ! Un monsieur du Bénin, que je n’ai jamais vu autrement qu’en photo sur Meetic, mais qui avait sans cesse besoin d’argent. » Toute belle dans sa robe bustier crème, ornée sur le devant d’une coulée de fleur et de frous-frous, elle dit aussi : « Ma curatrice s’occupe bien de moi. » La jeune curatrice en question vient dire au tribunal que c’est une personne « très vulnérable, déjà victime de coups ces dernières années ». Rien que l’an passé, Léa hébergeait un homme, et il l’a frappée. « Je regrette vraiment, mais pour moi c’était de la légitime défense », insiste la prévenue. « Un homme de près de 110 kg qui immobilise une femme par la force et la contrainte ? Quelle est son alternative pour se soustraire ? La proportionnalité, elle est là. Avant (les autres fois où elle a pris des coups, ndla), elle n’avait jamais répliqué, ça a été un geste réflexe, fulgurant », défend Me Julien Marceau.


La société toutefois ne souhaite pas que certains réflexes se développent. Le tribunal condamne Léa, mais retient l'altération du discernement, et inaugure son casier judiciaire, vierge jusqu’à aujourd’hui : 10 mois de prison avec sursis, dispense d’inscription de la peine au bulletin n°2 de son casier, pour qu’elle puisse travailler . Le président Jacob lui rappelle qu’elle doit oublier l’existence de ce monsieur et appeler la police illico s’il se présentait chez elle. L’enquête de voisinage dit que le quartier du Creusot où cet ex-couple vit, est troublé. Beuveries, bagarres, chiens qui aboient. De toute façon, accompagnée par sa curatrice, Léa va déménager. Elle aspire au calme : « Je voudrais être à la retraite, m’acheter des livres et lire toute la journée. Je voudrais m’instruire. »

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