« C'est très dur, de demander à quelqu'un qu'on trompe de faire du baby-sitting » (5/5)

Madame n'est pas venue à l'audience. William, lui, se présente à la barre. C'est un homme de 37 ans qui ressemble à l'humoriste Jonathan Lambert. Diplômé de l'ESSEC, il travaille dans une banque et possède un « certificat de lutte contre le blanchiment d'argent ». Il essaye d'être calme mais, même posés sur la barre, ses doigts qui tremblent trahissent sa grande nervosité. Le tribunal lui reproche des violences conjugales. William a tiré les cheveux de sa femme.

« Madame a déposé plainte et elle a dit que vous lui aviez tiré les cheveux. Il y aurait eu des violences depuis quelques semaines », commence la juge. « Elle indique dans sa déposition que vous êtes ensemble depuis six ans, mariés depuis 2014 et que vous avez une fille de 16 mois. Elle dit que votre couple bat de l'aile depuis quelques semaines, que vous lui criez dessus et que vous lui tirez les cheveux. »

« Voilà », répond William, les mains cramponnées à la barre. « Il faut que je vous explique le contexte général. » Pendant toute l'audience, William va bien choisir ses mots et parvenir à développer son point de vue de manière complète et synthétique.

« Depuis quelques semaines, ma femme découchait de plus en plus souvent, pour aller chez son amant. J'ai des éléments matériels qui le prouvent. Je ne lui reproche pas, c'est son corps, elle fait ce qu'elle veut, mais j'ai pris la décision de quitter l'appartement et d'entamer une procédure de divorce. » Depuis quatre semaines, William avait quitté le domicile conjugal. Il ne revenait que le week-end pour s'occuper de sa fille.

« Évidemment, les soirs où elle partait voir son amant, elle ne pouvait pas s'occuper d'Emma, notre fille. Elle m'appelait pour me dire de revenir à la maison et me mettait devant le fait accompli. Je devais m'occuper d'Emma pendant qu'elle partait voir son amant. Voilà pour le contexte général. » Il ajoute que c'est très dur d'être un mari ouvertement trompé.

« Ce jour-là, le matin, elle m'avait prévenue qu'elle devait aller faire du sport le soir même, et que je devais passer pour m'occuper d'Emma pendant qu'elle était à la salle de sport. Quand je suis arrivé à l'appartement, elle est partie prendre une douche. J'ai vu sur son téléphone qu'elle recevait un texto. Je n'ai pas les codes de son téléphone, je n'ai pas fouillé dedans, le message est apparu sur l'écran. »

Le message vient de l'amant de Madame, que William connaît bien. Il lui parle du rendez-vous qu'ils ont au cinéma, ce soir-là. « J'étais en colère qu'elle m'appelle pour faire du baby-sitting, d'autant qu'à ce moment, Emma avait une gastro-entérite. Le rôle de sa mère aurait été de rester auprès d'elle. Juste avant qu'elle ne parte pour son rendez-vous, nous avons eu une dispute. Je lui ai reproché de ne pas s'occuper de sa fille. »

Au milieu de la discussion, la femme de William ouvre la porte pour partir. « À ce moment, j'ai voulu la retenir. J'ai attrapé la première chose qui est passée sous ma main, ses cheveux, mais ça aurait tout aussi bien pu être son bras. Je n'ai pas tiré les cheveux, c'est en continuant son mouvement qu'elle a eu mal. Je m'en suis rendu compte, j'ai lâché immédiatement et elle est partie. Le lendemain, j'ai reçu une convocation pour aller au commissariat. »

« C'est l'irrespect de ce qu'on lui impose qui va le mener ici. »*

Au commissariat, les policiers indiquent à William que sa femme a porté plainte contre lui pour des violences conjugales. « J'ai passé 24 heures en garde à vue, puis j'ai reçu un coup de téléphone de l'avocat de ma femme, pour le divorce. Il m'indiquait que ma femme était disposée à retirer sa plainte si j'acceptais une procédure de divorce par consentement mutuel. J'ai refusé. Voilà. Je précise que je ne l'ai jamais frappée, hormis ce moment où j'ai tenu ses cheveux. Ma femme, c'est quelqu'un qui manque cruellement d'empathie, qui est incapable de comprendre que c'est très dur de demander à quelqu'un qu'on trompe de faire du babysitting. »

Le problème, pour William, c'est que les violences sont constituées, puisqu'il les a reconnues. La juge peut donc entrer en voie de condamnation. Le jour du divorce, une condamnation pour violences conjugales pourrait peser lourd dans la balance.

D'ailleurs, pour la procureure : « Ces violences restent des violences, quoi qu'en dise le prévenu. Il s'agit manifestement d'un couple en bout de course, avec leurs reproches, leurs problèmes, mais ça n'excuse en rien les violences commises. » Elle demande une amende de 2000 euros et une dispense d'inscription au B2, pour que William puisse conserver son certificat de lutte contre le blanchiment.

L'avocat de William, après avoir tout tenté pour faire annuler la procédure, notamment en contestant la garde à vue, va se rabattre sur une autre stratégie : au moment où William a tiré les cheveux de sa femme, il était en état de légitime défense.

D'après l'avocat, puisque les violences morales sont des violences, et que la femme de William lui faisait subir de telles violences, le tirage de cheveux peut, dans ce cas précis, être considéré comme une réponse proportionnée à l’agression qu'il était lui-même en train de subir. « Il ne serait pas là si Madame ne l'avait pas forcé à revenir à l'appartement ce soir-là. C'est l'irrespect de ce qu'on lui impose qui va le mener ici. » Pour appuyer son propos, il cite quelques jurisprudences, dont celle d'un surveillant de collège, relaxé au bénéfice de la légitime défense parce qu'il avait fait une balayette a une élève qui l'insultait. Il propose une dispense de peine. La décision sera rendue le 19 février, quelques jours après la Saint-Valentin.

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