Tout s’annonce mal pour Badri. Comme un signe, le premier policier de l’escorte, un gros type aux petites lunettes, a trébuché en entrant dans le box. Le prévenu, lui, se tient mal, à moitié appuyé contre les parois de verre. Cheveux gominés plaqués en arrière, veste noire, il est petit et trapu, n’a presque pas de cou. Il a l’air dangereux, mais n’impressionne personne.
Badri est un voleur. Un mauvais voleur. Cette fois, les flics l’ont chopé alors qu’il tentait de piquer des vêtements à Zara. Un pantalon – soyons précis – qui a sonné au moment même où le prévenu a passé le portique de sécurité. Rien à voir avec un coup de malchance, le prévenu n’étant pas Arsène Lupin. Non, il pâtit de son incompétence chronique. Depuis 2012, Badri s’est fait condamner douze fois par le tribunal de grande instance de Bordeaux. Presque toujours pour vol.
Avec un casier judiciaire comme ça, difficile pour lui d’assurer sa défense. En plus, il ne sait ni lire ni écrire et parle mal le français. Trois fois, la juge l’interroge : « Voulez-vous être jugé aujourd’hui ? » Inlassablement, il répète : « Je ne comprends pas. » Son conseil intervient, discute deux minutes avec lui. Badri accepte de comparaître tout de suite.
L’échange commence. La juge n’est ni méchante, ni gentille, juste blasée. Badri reconnaît avoir volé le pantalon. Sur lui, on a aussi trouvé une enceinte.
« Vous l’avez volée le même jour ?
– Bah oui. Les deux boutiques étaient à côté, alors bon...
La juge soupire.
– Et la veste, elle est à vous ?
– Oui.
– Vous l’avez achetée ?
– Oui.
– Vous pouvez le prouver ?
– Je n’ai pas compris la question.
– Madame la procureure, lance la juge, c’est compliqué, il ne comprend pas tout.
Sans compter qu'elle ne fait pas beaucoup d’efforts pour comprendre.
« Je l’ai acheté à Saint-Michel, à un homme que je connaissais », explique-t-il dans son français approximatif. À la sauvette donc. « Vous savez, quand on ne connaît pas l’origine d’un objet, c’est qu’il a une provenance douteuse », prévient la magistrate.
Les questions reprennent. Badri explique qu’il ne travaille pas, qu’il « a fait les démarches à Pôle emploi ». En situation régulière – il est réfugié politique – il vit avec sa femme et ses trois enfants. La juge s’étonne que seule sa femme travaille. « Vous êtes jeune, en bonne santé, vous devez travailler », sermonne-t-elle en passant. Badri a aussi une hépatite C, conséquence « d’une consommation anarchique de morphine ». Face à la procureure, qui requiert six mois de sursis avec mise à l’épreuve, l’avocat tente de défendre son client. « Franchement, qui volerait quelque chose aussi maladroitement ? », lance-t-il pendant ce qu’on croit alors être un élan d’éloquence. Raté. Il se plante, perd tout le monde et fini par laisser entendre que son client est « bête », a des « problèmes mentaux » et que c’est « une raison pour se montrer indulgent ».
Après l’interruption d'audience, Badri est condamné à six mois de prison dont trois ferme avec mandat de dépôt et trois avec sursis mise à l'épreuve.