Ils n’ont que des regrets et s'entre fustigent sans défaillir. La mère d’Inaya, enfant tuée, enfouie dans la forêt et découverte un an plus tard, a tenté devant la cour d’assises de Seine-et-Marne de retracer cette soirée fatale au cours de laquelle « M. Compiègne », le père de l’enfant, aurait frappé à mort leur bébé. « Je rentrais des courses avec Aïcha. M. Compiègne était énervé, Inaya pleurait. » Quelques heures passent et Inaya pleure encore. « M. Compiègne s’énerve, l’allonge par terre sur le carrelage et la roue de coups de pieds. J’essaie d’intervenir mais il me repousse violemment. » Puis il soulève la petite et la secoue fort en lui hurlant : « Réveille-toi ! » Hier, le médecin légiste a confié qu’il s’agissait probablement de la cause du décès.
Bushra Taher Saleh a détaillé la suite. Elle a passé la nuit avec le corps inerte d’Inaya, puis s’est levée et l’a préparé. D’abord elle lui a mis sa couche. Puis elle l’a habillé d’une robe avec des cœurs et lui a enfilé ses chaussures de princesse, avant de la fourrer dans un, deux, trois sacs poubelle, le tout dans un sac de sport qu’elle emporte en vélo. « C’est Monsieur qui m’a demandé de faire ça. » Ils cherchent un endroit puis découvrent une souche au pied de laquelle ils creusent un trou. À la main.
Elle pleure, demande une suspension mais n’obtient qu’un verre d’eau. « Pourquoi n’avez vous rien fait, depuis toutes ces années ? » L’accusée décrit un climat de terreur qui la rendait incapable de réagir : « C’est pas que je ne veux pas, c’est que je ne peux pas les protéger, j’étais sous son emprise », répond-t-elle dans une protestation contenue. Mais il y a ce mensonge, cette année passée ensemble à cacher la mort de leur fille. La présidente : « Comment expliquer votre capacité à mentir avec une grande crédibilité sur des faits aussi graves ? – Sincèrement, je ne sais pas. M. Compiègne me menaçait, il fallait vraiment faire croire qu’Inaya était encore en vie, alors je le faisais. » Mais la présidente insiste : pourquoi ne pas se confier à ses parents, la chair de sa chair ? L’accusée paraît effondrée. Elle supplie presque : « Je suis sous l’emprise d’une personne, je ne sais pas comment l’expliquer. Depuis que je suis incarcérée à Fleury-Mérogis, je me sens plus libre. »
« Il vous bat et tue vos enfants, et vous lui dites ça ? »
Les questions de l’accusation et des parties civiles ne l’ont pas épargné. L’avocat général lit une tirade amoureuse qu’elle déclame à Grégoire Compiègne au téléphone, alors que le couple est sur écoute (Inaya est déjà morte). « Il vous bat et tue vos enfants, et vous lui dites ça ? » Emprise, mainmise, tyrannie, répète-t-elle. Bushra Taher Saleh est secouée de larme. « C’est aussi de ma faute si Inaya est morte, parce que je n’ai rien fait. Je n’ai pas l’habitude de pleurer à ce point là. »
Ça ne se voyait pas derrière son regard fixe et noir, sa paupière gauche tombante, mais ce discours qu’a tenu sa compagne a mis Grégoire Compiègne en colère. « À un moment donné j’avais envie de me lever et de quitter la cour », jette-t-il à la présidente. Celle-ci supporte avec peine les innombrables digressions de cet accusé insolent qui prend la cour à partie, commence ses phrases par « Vous savez… » et déplore qu’on ne croit pas derechef la version qu’il propose.
Ce soir là (aucun des deux parents n’est capable de se souvenir de la date des faits), « mademoiselle », comme il la nomme, s’était énervée car Inaya refusait de manger. Comme d’habitude elle lui criait dessus. Quelque temps avant, elle l’avait brûlé au second degré, sur la tête, en lui donnant son bain. « Soi-disant elle a oublié d’activer l’eau froide, mais je ne la crois pas », lance-t-il.
Dans la nuit, la petite pleure. « Elle a demandé plusieurs fois Vivi », l’assistance sociale qui l’a gardé de un à 15 mois. « J’entendais mais je ne me suis pas levé. mademoiselle s’est levée et j’ai entendu qu’elle l’a roué de coups dans son lit. » Il prend sa fille, la câline et la repose sur un matelas gonflable. « Je l’ai allongée, elle s’est mis à étirer ses membres, elle regardait vers le haut et poussait des cris terribles. Je ne savais pas comment réagir. Mademoiselle a cru qu’elle était possédée et lui a récité une sourate à l’oreille. Mais Inaya criait de plus en plus fort, et là mademoiselle lui a attrapé la gorge pour stopper son cri. » Et la petite meurt.
« Est-ce que vous avez pris la mesure du ton avec lequel vous vous êtes adressé à la présidente ? »
L’ancien couple se rejette également la maltraitance des enfants. « Ce qui est sûr, c’est qu’il y en a un des deux qui ment », médite la présidente. Bushra Taher Saleh avait peur de son compagnon, mais lui ? « Qu’est-ce qui vous empêchait d’intervenir ? Vous avez l’ascendant physique », le questionne la présidente. Il louvoie et s’offusque, la présidente le recadre comme le fera Me François Baroin, partie civile : « Est-ce que vous avez pris la mesure du ton avec lequel vous vous êtes adressé à la présidente ? » Il se tait et raconte comment « mademoiselle faisait des bleus » à Inaya, explique qu’il ne comprend pas pourquoi son fils Karim l’accusait de maltraitance alors que c’était « elle » la coupable.
Plus tôt dans la journée, des employés des services sociaux ont défilé à la barre. Il y a cet éducateur qui a suivi les deux enfants survivants, en 2013 et 2014, pour constater les ravages psychologiques causés dans leur prime enfance. Il y a cette employée d’une association privée, qui a surveillé la famille de février à août 2012. La famille est suivie par le juge des enfants et l’assistante familiale est en quelque sorte son enquêtrice. Elle doit rencontrer la famille, la jauger et faire un rapport à la magistrate, qui prendra une décision. « Ils ont annulé le premier rendez-vous, puis le deuxième. On ne les a vu que le 23 mai », explique l’assistante. Ce jour-là, ni le père, ni Inaya ne sont présents. Elle passe l’été en congé maladie mais prend le temps d’écrire son rapport qui préconise « malgré un seul rendez-vous et l’absence d’Inaya », que les enfants réintègrent le cadre familial. « Pour le bien de la famille », ce qui est la priorité de sa mission. Le témoin se fait étriller par les parties civiles. Me Rodolphe Costantino, pour l’association enfance et partage, monte à la barre : « Il va falloir arrêter de jouer sur les mots. Cette mesure d’assistance éducative, dans la réalité ça n’était rien. Vous n’avez pas accompagné cette famille », enrage-t-il. La juge des enfants a validé le rapport de l’assistante familiale, Karim et Aïcha ont rejoint leurs parents le 19 août. Inaya était toujours enterrée. La cour entendra la magistrate mardi soir.