Avec son allocation adulte handicapé, Farid a acheté un fusil. Une affaire exceptionnelle, il n’a pas pu résister : 250 euros pour ce .44 Magnum, et une tronçonneuse en prime, c’est cadeau, car on a toujours besoin d’une tronçonneuse. Farid ne sait pas tirer, il s’en contrefiche des armes, mais il espère la revendre à un bon prix. Réjoui, dit-il, de son affaire, il a rangé le calibre dans le vide-poche de sa Smart. Quelques heures plus tard, ivre et au volant, il est interpellé.
A la 8e chambre correctionnelle de Marseille, qui, ce 24 avril 2017, juge Farid en comparution immédiate, un avocat, mi amusé, mi compatissant, avise un journaliste : « Ça va être Massacre à la tronçonneuse ! » D’autant que Farid, le prévenu, a déjà purgé six mois, dans le passé, pour détention d’arme. L’affaire vient sur renvoi après expertise psychiatrique, car il est atteint de plusieurs pathologies, mentales et physiques.
Farid peut tout expliquer : « Je pensais que c’était une arme de collection, une vieillerie que je voulais vendre à des chasseurs. – Des gens chassent au .44 ? s’étonne la présidente. – J’ai pas fait attention, je ne m’y connais pas, je n’ai vu que le canon. » Il fait état d’un achat spontané : « Comme j’avais bu la veille, j’avais de l’argent sur moi », explique-t-il, et personne ne voit le rapport. Il en profite : « Et l’alcool dans le sang, c’est pour ça aussi. » Mais il réfute avoir été ivre. Distrait tout au plus. « J’ai percuté la voiture involontairement, je ne les avais pas vu. » Hélas, c’était une patrouille de police.
« Le contexte marseillais »
La policière approche à la barre. Elle porte une minerve et des lunettes noires, fait des gestes lents, tout en raideur douloureuse. Ça fait son effet. Elle raconte : une Smart file à vive allure, en sens interdit, et grille un feu. Avec son équipage, ils suivent la petite voiture, se plantent derrière. La Smart fait une violente marche arrière : Farid tamponne la police.
Les policiers approchent de Farid, arme à la main et soudain voient l’individu tenter de s’emparer du fusil en les voyant : « Alors nous avons dû maîtriser l’individu. » Farid est un peu abîmé : « Je suis carrément choqué d’entendre ça : je suis handicapé, j’ai mal au bras, je peux même pas marcher. Il y a méprise ! »
L’avocat des parties civiles est grave : « C’est à cause de ces imbéciles, qui sont un trouble à l’ordre public, que ma femme n’ose plus sortir dans certaines circonstances. Les fonctionnaires de police ne sont pas là pour se prendre une balle de .357 dans le buffet. » Il déplore « l’ultra-violence, qui se développe de plus en plus », et demande un total de 7 800 euros, en réparation du préjudice des deux policiers.
Le procureur : « Dans ce contexte d’ultra-violence, ici, à Marseille, il y a suffisamment de règlements de comptes avec les armes vendues sous le manteau. » La défense s’en désole : « Tout le monde fait référence au contexte marseillais, mais ce n’est pas de sa faute : lui, pour sa part, était ivre, handicapé à 35 % et conteste avoir menacé la policière. »
Farid, qui a pris peur quand le procureur a demandé deux ans de prison, gesticule un peu et se rassoit. Farouk et Mohamed, deux frères à la mine patibulaires, se lèvent. Ils étaient fin ronds lorsqu’ils ont tabassé une fonctionnaire de police. Les victimes se lèvent : c’est la même patrouille qui a contrôlé Farid. La minerve, c’est Farouk.
« Une passante, horrifiée par la scène, vous a comparé au lapin Duracell ! »
Tard dans la nuit, la patrouille prend en chasse un chauffard qui divague à grande vitesse sur le boulevard. Contrôle : ils sont quatre, sans ceinture, et visiblement très échauffés. Les policiers « ne les sentent pas », raconte la policière revenue se figer à la barre. Ils appellent du renfort et tentent de contenir la furie qu’ils redoutent. Le petit gabarit tente de sortir, la policière bloque la portière, il parvient à la repousser et la frappe frénétiquement. La présidente illustre : « Une passante, horrifiée par la scène, vous a comparé au lapin Duracell ! » Farouk était hors de lui.
Mohamed a vu la scène et, dit-il, a tenté de calmer la situation en prévenant : « Attention, mon frère est malade, 100 %. » De fait, ça se voit au premier coup d’œil : Farouk semble ne pas jouir de toutes ses facultés mentales. Mais dans la bagarre, les policiers ne voient que les coups qui pleuvent, et Mohamed qui sort pour frapper le collègue de la policière, dont la bouche était en sang et les yeux tuméfiés.
Les yeux se tournent vers Farouk. Il est effrayé, bafouillant. « Je… J’étais en vacances chez mon frère [Farouk habite la région parisienne, ndlr]. La policière m’a mis une claque, je lui ai mis un coup de porte, et elle a commencé à me frapper. Je lui ai dit d’arrêter. » La présidente attend à peine que le prévenu finisse sa phrase. « Et un coup de portière suffirait à infliger de telles blessures, 15 jours d’ITT ? » La logique échappe à Farouk.
L’avocat furibond des policiers – le même – qualifie Farouk et Mohamed de « destructeurs du contrat social de Rousseau qui nient l’évidence, de personnes socialement dangereuses ». Le parquet abonde, et, s’interrogeant sur le quantum à demander, proclame : « Ce qui est sûr, c’est que un mois et demi, ça ne suffit pas. » Cela fait six semaines que les deux frères attendent leur procès en prison, le temps qu’une expertise psychiatrique intervienne pour Farouk. « J’étais parti sur quatre ans, mais comme l’expert psychiatre a estimé qu’il y avait altération, je requiers trois ans. » Idem pour son frère. Le tribunal les condamne tous deux à quatre ans de prison, et Farid à deux ans.