Les bancs sont aussi inconfortables qu'ailleurs, mais la salle en jette. La cour d'assises d'Ille-et-Vilaine seule a de quoi intimider avec ses lustres, ses boiseries dorées et son plafond peint de nuages clairsemés. Ce lundi matin, premier jour du procès en appel de la mafia géorgienne à Rennes, un défilé de robes noires ajoute à sa solennité. Sans compter la tripotée d'uniformes siglés.
Six membres de l'équipe régionale d'intervention et de sécurité ont surveillé le procès, qui a duré cinq jours. (Illustration : Pierre Budet)
Viennent les prévenus, qu'on case un à un. Dix dans le box tout à droite, presque autant entre la défense et les parties civiles plus à gauche. « Ça va être le bordel… » prédit une avocate perchée sur talons hauts. Viennent les escortes, qui démenottent les gars et accrochent les fers sur leurs gilets pare-balles. Puis les six interprètes en géorgien, russe et arménien. Ils prêtent serment – debout, main droite levée, « je le jure » – avant de rejoindre les cabines de traduction.
« On reverra monsieur en janvier »
La cour d'appel, délocalisée dans cette salle du Parlement de Bretagne faute de place, entame le procès avec un discours gêné : « Un conseiller rapporteur a effectivement statué sur une demande de mise en liberté d'un des prévenus dans le passé. » Traduction : le magistrat a déjà examiné une partie du dossier et pourrait avoir sa petite idée sur la culpabilité du bonhomme à rejuger.
L'avocat général suggère qu'il passe en janvier. « Vraie difficulté » pour les avocats. « On a un dossier dans lequel on fait état d'une hiérarchie et on propose d'extraire une personne de cette structure mafieuse pour continuer à l’examiner ? »
Première suspension. Le procès doit durer la semaine. Les pronostics sont ouverts entre avocats : « Ils sont obligés de renvoyer tout le dossier. Ils ne peuvent pas disjoindre et juger un gars tout seul pour association de malfaiteurs dans trois mois.
– Vu les moyens engagés, ils vont y aller, quitte à ce que l'arrêt soit cassé. »
Retour de la cour. Les juges écartent le prévenu concerné. « On reverra monsieur en janvier. » Son avocate demande qu'il soit remis en liberté d'ici là. Re-suspension de l'audience. Les déçus du premier délibéré sont effarés. « Ah mais, c'est pas le seul problème de procédure ! Le boss de l'organisation a comparu en mars, plus d'un an après les autres. Son dossier est joint aujourd'hui et on n'a pas les pièces.
– S'ils nous les avaient envoyées jeudi encore, on aurait bossé le week-end et on aurait rien dit, mais là ! »
« Les Eris, ça les hérisse »
Effectivement, « se pose la question de la communication des pièces complémentaires en fin de procédure et donc du respect des droits de la défense », note le président. La défense bondit : « Le fait d'avoir groupé les deux dossiers à la même audience, c'est une jonction de fait. Alors appelez ça comme vous voulez, mais ça n'a pas de sens. Accepter de joindre les dossiers a quelque chose de l'ordre de l'usine à gaz. »
Un autre avocat : « Si votre cour doit ordonner la jonction, le renvoi s'impose. On ne peut pas prendre connaissance des pièces en deux, trois ou même cinq heures et en discuter avec nos clients, encadrés par un important service de sécurité. » Lesdits clients ont décroché. Ils scannent le fond de la salle à la recherche d'un regard familier.
Re-re-suspension. Ça devient longuet. On ne sait pas qui en a eu marre en premier, mais toujours est-il qu'un prévenu, détenu, s'est pris un taquet. « Il devait parler trop fort, il s'est pris une baffe. Du coup, il s'est retourné pour en mettre une au gars de l'équipe régionale d'intervention et de sécurité (Eris). Les Eris, ça les hérisse. »
« On n'a pas prévu de s'asseoir sur les genoux de nos clients »
11 h 40. « La cour va examiner les affaires diligentées contre… » Le "boss" est remenotté, prêt à être rapatrié vers la maison d’arrêt.
Un avocat : « Vous le sortez alors même que la cour aura à débattre du dossier ?
– En l'état, la cour choisit d'examiner ces affaires successivement. Donc vendredi 9 h pour monsieur ! »
Les chaises musicales reprennent. Les avocats veulent chacun une tablette. « Comme on n’a pas prévu de s'asseoir sur les genoux de nos clients… Est-ce que l'on peut permuter avec ceux qui ont de quoi écrire ? » L'un d'eux bronche, car il lui faudra tourner la tête pour voir qui s’avance à la barre. D’autres ont déjà leurs casques baissés, comme si la cour avait soudain perdu de son autorité.
Le "boss" des Vory v zakone, "voleurs dans la loi" (au milieu), sorti de la salle d'audience le lundi, a été jugé tout seul le vendredi. Délibéré le 14 décembre. (Illustration : Pierre Budet)