C’était un soir de bal à Monestier-de-Clermont. Sur les balcons du Vercors, cet ancien village-rue isérois célébrait son club de rugby local à la salle polyvalente. Nous étions le 10 avril 2011. Les enfants de 20 ans et plus étaient là. Ils avaient grandi ensemble, fréquenté les mêmes écoles, les mêmes clubs sportifs, et une fois de plus, ils se retrouvaient. Adrien André aussi était présent. Lui était arrivé au village en octobre 2010, avec sa compagne et les trois enfants de celle-ci. « J’étais d’humeur joyeuse, je rigolais avec tout le monde », raconte-t-il devant la cour d’assises de l’Isère, vendredi 13 octobre, au troisième jour de son procès pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, sur la personne de Florent Jacob, 21 ans. « Mais les gens ont pu prendre ça pour de la provocation. » L’accusé a 28 ans, il a déjà de nombreux cheveux blancs.
Les lumières du village étaient éteintes, minuit avait donc déjà sonné. Adrien André arriva au bal. Il avait passé la journée au lac de Monteynard, avec sa compagne, Khadija, et les enfants. Puis, il s’était invité à un barbecue chez son voisin et ami Rodolphe, qui habitait le même immeuble. « C’était une journée festive », se souvient l’accusé, 22 ans à l’époque des faits. Sur le chemin de la salle polyvalente, Rodolphe lui fit promettre de rester tranquille lors de la suite de la soirée. Parce qu’Adrien André ne s’était pas bien intégré dans la commune.
Il pratiquait le free-fight à haut niveau, mais, malgré son comportement correct au sein de son club, sa réputation de bagarreur qui frappe fort l'a précédé dans le village. Quelques mois plus tôt, lors d’une soirée où ils se rendaient, disent-ils, pour s’intégrer, lui et Khadija ne s'étaient pas non plus sentis bien acceptés et entendirent des insultes racistes. Je me suis faite insulter de "sale Arabe" et de nous deux, on sait qui est l’Arabe »*, lance Khadija à l’audience, dans un flot de paroles. Face à eux, il y avait notamment le fils du maire d’un village voisin. « Il était dans sa voiture, il m’a renversée et j’ai fait un soleil sur sa voiture. » « Ça s’est très très mal passé, confirme Adrien. Quand il l’a renversée, j’étais hors de moi. »
« En gros, j’ai grandi dans un climat de violences »
Ce 10 avril 2011, Adrien André était donc « d’humeur joyeuse ». À la salle polyvalente, il but un whisky, puis deux, avec son ami Rodolphe. Il demanda « juste une fois » à Patrick, autre enfant du pays qu’il vit dans la salle, de remettre son tee-shirt. « Il me l’a demandé plusieurs fois, contredit Patrick. Je l’ai ignoré. » Adrien se retrouvait aussi face à Mélanie. « Elle dit que vous êtes très vexé parce qu’elle ne veut pas prendre un verre avec vous », raconte le président de la cour, Philippe Busché. Adrien voit aussi le jeune mineur Mickaël une bière à la main, à qui il fit « la morale », explique-t-il : « J’avais eu une discussion avec son père quelque temps avant. Il m’avait dit que son fils était introverti et qu’il avait besoin de sortir. Je me suis donc dit qu’il fallait que je prenne Mickaël sous mon aile. Là, ça se voyait qu’il avait bu et je ne sais pas combien de bières il avait bues. »
Adrien André a grandi dans une famille destructrice, a constaté un expert, trimballé entre son père, sa mère, ses grands-parents et l’Aide sociale à l’enfance. « En gros, j’ai grandi dans un climat de violence, admet le jeune accusé, sans s’étendre. Ma famille, je ne l’ai pas choisie. Celle que j’ai construite, c’est le plus important. » Alors, avec le jeune Mickaël, avec qui il a de rares fois fait du free-fight et qu’il vit alcoolisé lors du bal, « il y a une sorte de transfert qui a dû se faire de par [son] vécu », un surinvestissement émotionnel pour lui, qui est « en permanence en quête affective », selon son avocat, Me Florent Girault.
« On avait énormément bu », reconnaît Ludivine. Plongée dans l’obscurité jusque-là, la salle retrouvait de la lumière passé 2 h du matin. Adrien André tenta alors de se saisir d’une bouteille de rosé sur une table. Il se fit attraper par Florent Jacob, surnommé « l’ours », qui arriva derrière lui. Cette bouteille de vin, c’était la sienne, pas question de s’en servir un verre. À l’audience, Alban, qui faisait à l'époque du free-fight avec Adrien André dans le club local, en est certain : l’altercation n’est pas allée « jusqu’au sang ». Adrien André affirme, lui, que Florent Jacob l’avait empoigné par le col. Patrick a écarté « l’ours », « en lui disant de se calmer, raconte Mélanie. Florent était un peu contrarié. » « Le plus énervé des deux, a priori, c’était Florent », ajoute Mickaël.
« L’ours » s’endort à moitié
Peu avant 2 h 30, alors que les organisateurs du bal terminaient le nettoyage et le rangement de la salle, plusieurs jeunes quittèrent les lieux et se répartirent dans deux voitures, en direction de chez Céline et Alberto, histoire de partager un dernier verre. La composition des deux voitures n’est pas complètement claire, mais Mélanie, qui ne boit jamais d’alcool, fut chargée de conduire l’un des véhicules. Derrière elle, s’installa Florent Jacob, le bon copain « qui se cherchait encore », « dur à l’extérieur, mais doux à l’intérieur », selon des proches.
Le trajet fut très court, quelques centaines de mètres seulement, mais « l’ours » s’était endormis à moitié. « On a cru bon le laisser dormir dans la voiture », culpabilise, en pleurs, Mélanie, lors de sa déposition à la barre. Après un arrêt sur la Grand Rue, l’axe traversant le village, pour aller chercher des cigarettes, tous se retrouvèrent chez Céline et Alberto. « Je me rappelle avoir entendu parler d’Adrien André. Mais j’avais bu », tente de détailler à la barre Mickaël, qui, ce soir-là, s'assit sur une chaise, pas parfaitement conscient.
Mélanie, Alban, Yohann et Patrick quittaient rapidement le domicile de leurs deux amis. Une fois près de la voiture de Mélanie, à 3 h, les quatre amis remarquèrent la disparition de Florent. « Il l’avait déjà fait », affirme Patrick, qui appelait alors son copain, sans pour autant s’inquiéter. Messagerie. Patrick n’insista pas, Florent était sûrement rentré chez lui. Comme il n’avait pas ses clés, il dormit chez Mélanie, et Yohann chez Alban. Les quatre amis disparurent alors dans la nuit de Monestier, et ne réapparurent plus avant le lever du jour.
Adrien André, lui, n’avait pas vu partir l’équipée, directement après la petite altercation autour de la bouteille. Toujours à la salle, il décida de rentrer chez lui, seul et à pied, sur la place de la Halle, qui jouxte la Grand Rue. Khadija s’était assoupie, il la réveilla, lui raconta la soirée, sans évoquer l’altercation avec Florent Jacob, qu’il considère comme peu sérieuse. Il s’inquiéta aussi : où est passé le jeune Mickaël ? Il passa quelques appels. À Alban : pas de réponse. À Rodolphe aussi : toujours pas de réponse. Adrien André décida donc d’aller chez la mère de Mickaël, afin de vérifier que le mineur était bien rentré chez lui.
Il sonna à son domicile, dans le village, un peu avant 3 h du matin. La mère de Mickaël, qu'il a réveillée, se présenta en peignoir. Il demanda : Mickaël est rentré ? La mère de famille répondit par la négative. « Je me suis senti vraiment con. Elle était pas bien, je l’avais réveillée. J’ai eu une prise de conscience, ça m’a déstabilisé », se souvient Adrien André devant la cour. Alors il repartit aussitôt, direction son domicile, affirme-t-il. Là, il se mit en pyjama, lança une machine à laver avec le linge blanc, dont les affaires qu’il portait ce soir au bal, passa de nouveau des appels téléphoniques à Rodolphe et à son frère, Loïc. Adrien André voulait savoir si la sortie pêche était maintenue ce dimanche, avec un départ matinal à 5 h. Loïc ne répondit pas et Rodolphe avait éteint son portable.
« Pourquoi avoir passé tous ces appels ? le questionne l’avocate générale, Thérèse Brunisso.
– Je suis quelqu’un comme ça, qui a tendance à harceler s’il n’y a pas de réponse, parce que je veux une réponse. S’ils avaient répondu, j’aurais arrêté. »
Me Girault prend ensuite la parole : « La frénésie de ces appels laisse penser que vous avez fait une connerie et que vous appelez vos copains pour gérer la situation.
– Si j’avais fait ça, je n’aurais appelé personne », soupire Adrien André, qui, ce soir-là, continua ce qu’il avait commencé. Il se glissa dans son lit, près de sa compagne endormie, alluma un joint et lança un DVD. Puis il se leva, vida la machine, étendit son linge, et lança une nouvelle machine. Pour le linge de couleur cette fois. « J’ai l’habitude de faire des machines avant d’aller me coucher, explique l’accusé, chargé de l’entretien de la maison et réputé pour être particulièrement maniaque. J’aime que tout soit fait avant d’aller dormir, pour être tranquille le lendemain. »
« Y’a un type mort pilo au parc »
Dans le même espace temps, Rémi roulait en voiture sur la Grand Rue du village. Il voit Florent Jacob marcher en direction de son domicile. Il est maximum 3 h 05. « Florent marchait seul. »
« Vous l’avez parfaitement reconnu ? l’interroge Me Girault.
– Oui. »
Dans les mêmes minutes, Alexandra rentrait aussi chez elle, seule, à pied. À 3 h, selon son téléphone, elle envoyait un texto à une amie : « Y’a un type mort pilo au parc ». « Il faisait nuit noire, je voyais sa silhouette seulement. »
« "Mort pilo", ça veut dire quoi ? demande l’avocate générale.
– Qu’il est bourré.
– Donc le SMS que vous envoyez à ce moment-là signifie que vous le voyez ivre ?
– Oui. Il n’avait pas l’air bien, il vacillait énormément. Mais sur le moment, je me suis juste dit "c’est quelqu’un qui a trop bu".
– Qui a trop bu, mais pas qui est blessé ? lui demande de préciser le président.
– Oui. Sur le moment, oui. Il allait quand même vite quand je l’ai vu. »
3 h 17. Amandine et Clément rentraient d’un autre bal. Sur la place de la Halle, dans les phares de leur voiture, ils virent un corps à terre. Apeurée, Amandine resta dans la voiture, mais Clément s’approcha. « Il était totalement inconscient, il n’avait pas de réaction. Il était défiguré. Je le croisais régulièrement, mais je ne l’ai pas du tout reconnu. » Florent Jacob gît à terre, le visage tuméfié, juste devant l’immeuble où lui, Adrien André et Rodolphe vivaient, chacun chez soi. Amandine et Clément appelèrent les secours, Florent Jacob fut pris en charge, conduit aux urgences, où on lui détecta à l’arrivée 1,76 g/l de sang. Il décédera le lendemain de ses blessures, un traumatisme crânio-encéphalique et des lésions de strangulation. L’autopsie ne relèvera aucune trace de lutte ou de défense sur son corps. Les experts ne purent pas non plus affirmer que l’agression a eu lieu à cet endroit.
« Aucune preuve matérielle montrant qu’Adrien André a porté des coups »
Que s’est-il donc passé ce 10 avril 2011, vers 3 h, du côté de la Grand Rue et de la place de la Halle ? Le chien de Rodolphe s’était agité, la femme du boucher avait entendu du bruit, comme si des cambrioleurs étaient en approche. Mais aucun témoin direct de l’agression ne s’est manifesté.
« Quels sont les éléments qui vous permettent de dire qu’une nouvelle rencontre entre Adrien André et Florent Jacob a lieu, avec une nouvelle dispute sur la bouteille de rosé ? interroge Me Florent Girault, pour la défense.
– Nous n’avons aucune preuve matérielle prouvant qu’Adrien André a porté des coups à Florent Jacob. Donc on émet des hypothèses, admet finalement à la barre le gendarme directeur d’enquête.
– Dans un PV, vous estimez que, pris au dépourvu, Adrien André s’est fabriqué un alibi en allant sonner chez la mère de Mickaël. Est-ce que ça ne pose pas un sérieux problème ?
– Non, je ne pense pas.
– Pourquoi voulez-vous qu’il se fabrique un alibi en allant chez elle ? Je suis calme, mais c’est scandaleux. Nous ne sommes pas devant une cour d’assises pour raconter des histoires. Ce n’est bon ni pour l’accusé, ni pour la famille de la victime. »
D’une colère froide face à cette enquête qu'elle estime mal ficelée, Me Girault poursuit : « Vous écrivez noir sur blanc qu’Adrien André ment sur son itinéraire, vous partez de cette hypothèse. Vous êtes directeur d’enquête. Deux ans après les faits, à la fin de votre enquête, vous ne faites que des hypothèses ?
– Oui. Je n’ai pas de preuve que c’est Adrien André le coupable, je n’ai pas de preuve que c’est quelqu’un d’autre non plus. »
Une petite tache de sang retrouvée sur le polo de l'accusé
De nombreuses taches de sang ont été retrouvées par les enquêteurs dans le village. Devant la salle polyvalente d’abord. Alors qu’ils étaient encore au bal, Mélanie avait vu au sol une trace importante. Et, tout de suite, pensa à Yohann, qu’elle avait emmené aux urgences, plus tôt dans la soirée, parce qu’il s’était blessé en marchant sur des tessons de bouteille dans une rivière en fin de journée. Elle vérifia son pansement, qui était intact. Six ans après, le souvenir de Yohann est différent : « Les plaies se sont rouvertes dans la soirée, dans la salle et à l’extérieur. Un point sur les treize faits aux urgences s’est enlevé », d’après lui.
Le sang dans la salle fut nettoyé, pas celui laissé à l’extérieur. « Pour vous, c’est un élément important de l’enquête de savoir à qui appartient le sang retrouvé dans plusieurs endroits ? demande Me Girault à une adjudante de la gendarmerie, de permanence la nuit des faits.
– Oui, comme toutes les traces de sang.
– Faire le rapprochement entre la trace de sang retrouvée à la salle polyvalente et la photo du pied de Yohann, c’est un peu juste, on est d’accord ?
– Oui. »
Parmi les autres traces retrouvées, une petite tache de sang a été remarquée sur la devanture de la boucherie, sans qu’il puisse être attribué. La Grand Rue, sur laquelle ont circulé de nombreux protagonistes cette nuit-là, n’a, elle, pas pu être étudiée avec précision par les enquêteurs : parce que le dimanche est jour de marché à Monestier, il y avait du monde et de l’animation dans la rue.
L’analyse sanguine et ADN a en revanche été réalisée sur différents vêtements. Du sang avec les profils d’Adrien André et de Yohann, avec deux autres profils inconnus, a été retrouvé sur une basket d’Alban, saisie à son domicile. « Vous avez une explication ? » demande la défense à Yohann. Réponse : « Non. » Du sang avec des traces ADN de Florent Jacob, Yohann, Adrien André et des ADN inconnus, a été retrouvé sur la paire de chaussures de Florent Jacob. « Il y a au moins le sang d’une personne », selon l’expert, sans pour autant savoir laquelle. Le profil ADN de Julien, autre témoin à l’audience, a aussi été relevé sur une trace de sang située sur une chaussure de la victime.
Sur le devant du polo porté par Adrien André la nuit du drame, au niveau du torse et côté intérieur, a été détectée une petite tache de sang appartenant à Florent Jacob. Le vêtement a été saisi sur la rambarde du domicile d'Adrien André, où séchait le linge lavé dans la nuit. En revanche, aucune trace n’a été remarquée sur le sweat qu’il portait par-dessus son polo ce soir-là.
Les enquêteurs ont également noté la blessure d’Adrien André à la main droite. Pour lui, c’est la conséquence d’une dispute avec sa compagne, le week-end précédent. Mal à l’aise dans le village, lui voulait s’en aller. Pas Khadija. La télévision et une armoire ont pris des coups. Pour l’experte en médecine légale venue témoigner après expertise du corps de la victime et celui de l’accusé, ce n’est pas possible : la blessure date de quelques minutes ou quelques heures. Adrien André ne varie pas quand le président de la cour l’interroge : « Je maintiens ce que j’ai dit : cette blessure, je me la suis faite ce jour-là », lors de cette dispute.
« Une espèce de vindicte populaire »
L’avocate générale interroge l’accusé sur le climat ambiant d’avant les faits : « À propos des rumeurs circulant sur votre compte dans le village, est-ce que vous n’y étiez pas pour quelque chose ?
– Quand j’ai vu comment les informations étaient transformées, oui, j’ai lancé des rumeurs. Mais j’étais déjà exclu.
– Est-ce que vous vouliez vous glorifiez en faisant ça, jouer les gros bras ?
– C’était de la provocation. »
Sur place, les enquêteurs remarquent, eux, « une espèce de vindicte populaire », tournée contre Adrien André. « Le lendemain du drame, quand vous apprenez, très très vite, vous vous faites votre religion sur ce qui s’est passé, constate le président Busché face à Mélanie. Pourquoi ?
– Parce qu’on se connaissait tous, on a grandi ensemble. J’avais aussi déjà entendu dire qu’Adrien André s’était battu avec d’autres. En plus du regard qu’il avait porté sur moi au cours de la soirée.
– Donc ce n’était pas quelqu’un du village, ce ne pouvait être pour vous que quelqu’un qui n’était pas de là. »
Mélanie confirme et poursuit : « Le lendemain matin, devant la boulangerie, je l’ai accusé verbalement, sous le coup de la colère et de la tristesse. Il n’a pas dit que c’était n’importe quoi. Il n’y a que lui qui peut faire ça, personne ne voulait faire de mal à Florent. »
Adrien André est mis en garde à vue le soir-même de l’agression. Dès le départ, il refuse d’admettre une quelconque responsabilité. Relâché, il fait face aux menaces, aux tags insultants, le village ne lui est pas favorable. Deux mois après ces faits, le 16 juin 2011, il passe une soirée chez sa voisine Fabienne Fajardo, avec Rodolphe, toujours place de la Halle. Les trois sont de nouveau très alcoolisés.
« Vous aviez un peu le gosier en pente, on est d’accord ? demande le président.
– Ça, c’est un peu familier, s’offusque presque Rodolphe. Mais oui. »
Fabienne accuse : pour elle, Adrien est responsable de la mort de Florent. Adrien André devient fou et la frappe, coups de poing, coups de pied dans la tête, sans que Rodolphe puisse intervenir pour l’arrêter.
« Même vous qui êtes comme son frère, vous n’arrivez pas à le calmer à ce moment-là ? demande Me Jean-Yves Balestas, côté parties civiles.
– Oh, purée ! répond Rodolphe par la négative.
– Oh purée, oui. Pas d’autres questions, Monsieur le président », conclut l’ancien bâtonnier en retournant s’asseoir.
« C’est compliqué d’avoir tout un village à dos »
« Pourquoi vous arrivez à vous retrouver dans une autre situation de ce type ? demande à son tour le président à Adrien André.
– C’est compliqué d’avoir tout un village à dos. Je n’ai jamais pu parler avec les personnes qui m’accusaient, alors que je n’avais rien à me reprocher dans l’agression de Florent Jacob. Moi, ma famille, nous avons beaucoup souffert de ça, les enfants aussi. C’est ce qui a entraîné les faits avec madame Fajardo.
– Il y a, à ce moment-là, une hostilité renforcée contre vous dans le village. Pourquoi vous n’adoptez pas un comportement un peu plus prudent ? Pourquoi vous vous replacez dans une situation avec des violences ?
– Pendant les deux mois qui ont suivi l’agression de Florent Jacob, je me suis retranché dans l’alcool, je n’étais pas bien, c’était très compliqué à vivre.
– J’entends que l’alcool peut vous faire perdre pied. Mais pourquoi vous vous remettez dans une telle situation, en partageant une soirée très alcoolisée ?
– Je suis quelqu’un de très influençable. Je vais être aspiré par cet engrenage. »
L’affaire Fajardo vaut à Adrien André une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Grenoble dans un premier temps, alors que l’enquête sur le dossier Jacob se poursuit. Mais le décès de Fabienne Fajardo quelques jours plus tard va changer la situation. L’autopsie conclut au décès du fait des coups portés par Adrien André.
Le parquet de Grenoble fait alors appel du jugement du tribunal correctionnel et Adrien André est renvoyé une première fois devant la cour d’assises de l’Isère. Il a été condamné à huit années d’emprisonnement, le 29 octobre 2014. La justice ayant fait les choses dans le désordre et dans des délais de traitement élastiques, il a été libéré le 4 février 2017 pour cette deuxième affaire. En ce mois d’octobre 2017, trois ans après le premier verdict, Adrien André comparaît donc libre pour la première affaire, l’agression de Florent Jacob. « On peut regretter qu’il n’y ait pas eu jonction des deux affaires », a admis dès le premier jour du procès le président Busché.
« Je n’avais aucune raison de faire des problèmes »
Nous sommes au troisième jour du procès. Adrien André est arrivé avec plus d’une heure de retard à l’audience. Il va pour la première fois être interrogé sur les faits. « Je le dis depuis le début : dans cette affaire, je suis innocent. » Plus tard : « Je ne vois pas pourquoi j’aurais fait du mal à Florent Jacob. Pour une bouteille ? C’est aberrant ! » Et « quand, à la salle polyvalente, j’ai voulu prendre la bouteille de rosé pour me servir, Florent Jacob m’a attrapé. Il était grognon, un peu chaud. ça m’a fait sourire, j’ai pris ça à l’ironie. Celui qui est agressif, ce n’est pas moi. »
Le président : « Florent Jacob, vous le connaissiez, vous le fréquentiez ?
– Je le connaissais, c’est tout. Il m’est arrivé de prendre une bière avec lui et Rodolphe. Je l’ai arrangé une fois ou deux avec du cannabis. Je n’ai jamais eu de problème particulier avec lui.
– Votre consommation d’alcool était excessive le jour des faits ?
– Si une dizaine de bières dans la journée, deux-trois whiskys au bal, c’est excessif pour vous, alors oui. Pour moi, c’était normal. C’était une journée festive.
– Quel était votre état d’esprit en allant au bal ? Vous étiez bien, détendu ?
– J’étais souriant, je n’avais aucune raison de faire des problèmes.
– Vous arrivez dans le village avec un tout autre bagage et vous en faites votre miel, non ? Vous cherchez à la fois à être accepté, ce qui est très humain, on le comprend, et à vous imposer.
– À partir du moment où l’on veut créer des liens dans le village, il n’y a pas de provocation. J’ai rigolé avec Patrick, je ne l’ai pas embêté pour son tee-shirt. Concernant Mélanie, c’est complètement faux, je n’ai pas été vexé parce qu’elle refusait de prendre un verre avec moi, ça n’a aucun sens. Florent m’a empoigné pour une histoire de bouteille. Il m’a attrapé de dos quand j’étais au comptoir. Je ne le connaissais pas comme ça, pas bagarreur. Il n’y a pas eu d’échanges de coups entre nous ou d’étranglement, il m’a empoigné.
– Vous êtes sûrement en quête de reconnaissance dans ce groupe, vous êtes à fleur de peau, on l’entend. Est-ce que lors de cet incident avec Florent Jacob, vous êtes à fleur de peau ?
– Pas du tout. J’ai envie de m’intégrer dans le village, je voulais faire en sorte de passer une bonne soirée. Pourquoi j’aurais dit "ça ne va pas se passer comme ça, ça ne va pas s’arrêter là" ? »
Les mots débordent chez Adrien André, il s’emballe. Cela fait six ans qu’il attend de s’expliquer dans cette affaire. Face à lui, le président verrouille sa déposition, il ne le laisse pas dépasser. « Ne faites pas diversion ! On respire, on reste sur les faits. »
« Avec votre pratique sportive, vous savez taper avec les poings et les pieds. Quelle est votre vision sur ce qui s’est passé ?
– On ne peut pas forcément dire que Florent Jacob était debout lorsqu’il s’est fait agresser. On n’a pas forcément besoin de savoir faire des sports de combat pour donner ces coups. Oui, je sais faire, mais ça ne veut pas dire que c’est moi.
– Je suis obligé de vous poser la question, même si l’affaire a déjà été jugée. Quelques semaines plus tard, votre voisine va aussi prendre des coups. Qu’en dites-vous ?
– J’ai pas mal de regrets, ça m’attriste. Mais, pour moi, ce sont des rapprochements qui sont trop faciles. »
Adrien André déverse de nouveau tous ses mots. Il a l’impression de ne pas pouvoir dire tout ce qu’il a à dire. « Je suis innocent. Vous savez ce que c’est d’être accusé à tort ? »
Coupable une fois, coupable deux fois ? Du côté de l’accusation, l’avocate générale, Thérèse Brunisso, s’est dite « convaincue de la culpabilité d’Adrien André ». Ce à quoi Me Florent Girault a répondu en plaidant l’acquittement : « On ne peut pas raisonner sur de l’abstrait », « la seule preuve apportée dans ce dossier, c’est celle de l’incertitude de ce qui s’est passé entre 3 h 05 et 3 h 20 ». Adrien André est condamné à huit ans d’emprisonnement par la cour d’assises de l’Isère. La défense a immédiatement annoncé son intention de faire appel.