Cette chronique a été initialement publiée dans le magazine Soixante-quinze
« Monsieur Guillaume P. ? » Un petit jeune homme se lève dans la salle, costume noir recta et souliers pointus assortis, mèche blonde gélifiée ramenée sur son crâne, il vient se river à la barre. Mais le président se tourne vers son avocat : « Maitre, vous avez des conclusions de nullité à développer ? » Et voilà le défenseur qui soulève quatre points qui emportent selon lui l’irrégularité de la procédure. La forme est jointe au fond, et c’est au tour de Guillaume, 22 ans, de s’expliquer.
Sa voiture divaguait sur un morne boulevard du sud Parisien, alors la police l’arrêta. « Vous êtes contrôlé, et en dépit de l’arbre magique suspendu à votre rétroviseur, l’odeur du cannabis était telle qu’elle vous a trahi », taquine le président Abassi. Ce n’est pas le juge habituel des comparutions immédiates, car pendant les vacations judiciaires la présidence de la 23e chambre tourne. De celui-ci rayonne une bienveillance dont ce prétoire n’est pas familier. D’une voix suave et d’un ton aérien, il conte plus qu’il n’instruit, il interroge le prévenu sans le tancer. Il rassérène : « Allons, le tribunal est là pour vous écouter… », jamais ne hausse le ton ni ne coupe la parole des prévenus.
C’est donc à Guillaume de s’expliquer sur les 192,6 g de cannabis retrouvés dans sa voiture, conditionnés en sachet prêts à la vente. Qu’en pense-t-il aujourd’hui ? « Je me rends compte que c’est une erreur de commettre ces délits, j’ai mesuré l’impact de mes agissements sur ma famille, mon avenir », récite-t-il. Le président veut savoir : « Pourquoi avez-vous fait cela ? – J’avais envie d’argent, de me payer des choses de valeur. » Le président se tourne vers les juges assesseurs : « Monsieur est un peu flambeur, il se prend en photo avec les affaires qu’il a achetées. »
Au début du contrôle de police, Guillaume prétexte un achat groupé. Une bande de copains qui achètent en gros pour réduire les coûts. Rapidement il avoue, et va plus loin : « Chose singulière, alors que vous partiez ensemble, vous signalez aux policiers qu’ils ont mal fouillé, qu’il reste 500 euros, produit de la vente. » Ça intrigue le président : « Pourquoi une telle franchise ? » Guillaume hausse les épaules, il ne sait pas. Il ne sait pas non plus pourquoi il a détaillé son travail : il récupère la marchandise, tournée de livraison puis il remet la recette au trafiquant, gardant 100 à 130 euros par jour. Le président explique à la salle le taylorisme des cités : « Aujourd’hui, le trafic est saucissonné, les soldats sont salariés. » Puis, à l’adresse de Guillaume : « Vous étiez l’un des maillons, mais s’il n’y a pas de personnes comme vous, il n’y a pas de trafic. Vous comprenez, ça ? » Guillaume s’incline légèrement.
Soudain, le président, sur le ton de la confidence, pose la question « joker » : « Il vous a contacté votre dealer ? – Bien sûr – Le tribunal se trompe s’il dit que vous devrez le rembourser – Non – Alors, qu’est-ce que vous avez gagné ? – Ben, des ennuis et une sanction – Ça, le tribunal n’a pas encore décidé. »
La procureure a sa petite idée, pour la sanction : six mois de sursis avec mise à l’épreuve. La défense donne l’assaut : « Dans ce trafic, vous parlez de soldat, je parle de fusible ! » Il expose la valeur de son client, qui a étudié la topographie et fait vendeur ambulant dans les trains. « Et il a arrêté le cannabis, on a les tests qui le prouvent ! » Il faudra continuer à arrêter : huit mois de sursis avec mise à l’épreuve, obligation de soins et de travail pendant deux ans, décide le tribunal.