La présidente congédie un prévenu qui déjà sortait mille papiers pour se défendre : « Le magistrat qui doit s’occuper de votre dossier est en stage à l’École nationale de la magistrature, donc nous allons renvoyer. » C’est pour le 5 juillet, et le petit homme en veste grise s’en retourne, sourire aux lèvres, comme s’il avait gagné son affaire.
L’affaire suivante mobilise les trois-quarts des robes noires qui essuient les bancs de la 31e chambre correctionnelle de Paris. Un dossier touffu où s’entremêlent la déontologie médicale et le culte de la beauté glabre. « L’épilation définitive » se fait au laser ou à la lumière pulsée et c’est une technique réservée aux seuls médecins, dit un arrêté de 1962. Mais la France est maillée d’un réseau de 2 500 instituts de beauté et de centres d’épilation qui pratiquent la méthode sans autre diplôme que celui d’esthéticienne. L’Ordre des médecins a porté plainte pour exercice illégal de la médecine.
La présidente est quelque peu déconfite, ses assesseurs habituels ne sont pas là. Elle prend le dossier à tâtons, se fait préciser le statut des prévenus représentés par cinq avocats en tout. Ils déclinent les sociétés qu’ils représentent, qui un franchiseur, qui une société propriétaire d’un franchisé dont l’institut est actionnaire, qui un institut exclusivement épilateur. Le lien de chacun avec l’infraction principale est parfois ténu, très ténu.
C'est à la partie civile d’exposer ses prétentions : « Vous me demandez un rapport, madame la présidente, je serai bref. » Il cite l’arrêté de 1962 qui autorise les non médecins à épiler avec de la cire et à la pince, liste exhaustive, qui sont d’après lui les méthodes les plus courantes. Il revient sur les précédents : « C’est un contentieux protéiforme et, à chaque fois, nous gagnons. » À Toulon, le parquet a poursuivi et fait cessé l’activité de tous les instituts qui pratiquaient le laser ou la lumière pulsée.
« Quand les gens viennent nous voir, ils nous parlent de leurs poils, c’est tout »
Qu’est-ce donc que cette pratique ? À la barre, la gérante d’un institut, quadragénaire huppée en tailleur et veste en cuir beiges, professe. « Notre méthode est non invasive, nous utilisons une lumière qui se diffuse jusqu’à la base du bulbe pileux et provoque sa destruction. » La lumière pulsée est son activité exclusive, et la dame fait ça bien. Elle a beaucoup étudié la matière et jargonne un poil : « Le laser, c’est comme si on prenait un arc-en-ciel et qu’on en faisait un rayon convergent. La lumière pulsée, c’est une lumière que l’on filtre et qui va appuyer sur la peau, contrairement au laser qui pénètre dans le corps. » La méthode de la lumière pulsée est beaucoup moins nocive.
Bien, le tribunal prend des notes, mais la présidente s’interroge : médical, pas médical ? L’épileuse ne cille pas. « D’abord, quelques vérités, la méthode d’épilation la plus utilisée, c’est le rasoir, de loin, pas la cire ou la pince. » Elle poursuit : « Quand les gens viennent nous voir, c’est qu’ils trouvent que leurs poils, ce n’est pas beau. Ils nous parlent de leurs poils, c’est tout. C’est purement esthétique, pas médical. Comment voudriez-vous que l’on soigne des personnes qui ne sont pas malades ? »
Elle s’étend sur la qualité de ses machines – 17 brevets – et l’excellence de la formation spécifique de ses employées – un mois complet – qui diffèrent des instituts douteux, dont on comprend qu’ils aient pu être condamnés. Elle décrit l’esthéticienne comme une « sentinelle » de l'épiderme : « Nous inspectons la peau, découvrons des grains de beauté que parfois les clients n’ont pas repéré eux-mêmes. » L’arrêté de 1962 ? « Les choses ont évolué, je ne me sens pas liée par ce texte », parade-t-elle.
« Poursuivez-les tous, le tribunal reconnaîtra les siens ! »
L’avocat de l’Ordre des médecins est bref, mais incisif : « Il y a l’arrêté de 1962, et tant qu’il perdurera, l’utilisation du laser et de la lumière pulsée sera interdite », martèle-t-il. Il fustige à tous crins les arrangements avec la loi : « L’époque est à la remise en question des réglementations. Alors on prend des initiatives, on promet, on annonce : à chaque fois, on rase gratis ! » Puis il justifie les citations tous azimuts contre les diverses entités aujourd’hui prévenues : « Poursuivez-les tous, le tribunal reconnaîtra les siens ! »
Cette approximation déplaît à la procureure. Elle en convient, l’activité est interdite par l’arrêté de 1962, mais doute de la pertinence de la preuve rapportée : « Est-ce que la seule reconnaissance des prévenus est suffisante pour asseoir une déclaration de culpabilité ? Quand le parquet est à l’origine des poursuites, il enquête et amène des preuves matérielles », persifle-t-elle. C’est la sagesse du tribunal qui tranchera.
Les avocats de la défense sont des experts du dossier. L’un explique que ses deux clients sont des syndicalistes très actifs dans le lobbying de l’épilation, qu’on leur cherche des poux car ils gênent par leur activité la profession médicale qui entend faire perdurer ce monopole. Un confrère s’élance : « Le professeur Bernard Debré (il s'agit en réalité du Dr Dominique Debray, ndlr), à l’origine de la plainte, possède un centre qui pratique l’épilation au laser, on comprend que ce n’est pas la santé publique qu’il entend défendre, mais un intérêt économique. » D’ailleurs, relève-t-il, une enquête privée a établi qu’il faisait manier les machines à laser par des non-médecins, ce qui serait cocasse. Une dernière avocate entre dans le prétoire pour faire un peu de droit : « On parle d’un arrêté, mais le législateur s’est emparé du sujet et le code de la santé publique a évolué. Il est venu redéfinir l’acte esthétique, c’est sur cette base que vous devez fonder votre raisonnement. »
Le 15 mars, le tribunal a condamné tous les prévenus pour exercice illégal de la médecine, à des peines d'amende allant de 3 000 à 50 000 euros.