« À chaque fois que je prends de l’alcool, paf, paf, paf »

« À chaque fois que je prends de l’alcool, paf, paf, paf »

Sûr que s’il n’y avait pas la barre pour le retenir, Pierre serait déjà au sol. Mais il tient bon, courbé, les bras allongés sur l’arc de bois, face à Anne Boivin, la présidente et face à l’auditeur de justice, qui mène l'audience.

L'anorak de Pierre pendouille. Les manches ont glissé, dévoilant un bracelet d'identification. À 50 ans, il est hospitalisé – ce n'est pas la première fois –, avant de rejoindre un centre pour un séjour post-cure pour cinq semaines. En attendant, Pierre est là, stone, devant le tribunal à Rennes, mardi 11 septembre, à écouter l’élève magistrat lire ce qu’on lui reproche.

Le 15 décembre 2016, des agents de la SNCF ont trouvé Pierre, alors à la rue, en état d’ébriété dans la gare. Ils l’ont éloigné des quais, mais Pierre a « vociféré, protesté, craché au sol » et insulté l’un des agents. Pierre, dans les vapes, s'affaisse au fil du récit. Ça ne plaît pas au tribunal : « Vous pouvez vous redresser un peu ? » C'est dit gentiment, mais fermement.

« C’est des regrets, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise… »

« C’est le Valium… » articule Pierre. Il a la bouche comme remplie de coton. « Vous arrivez à suivre ce que je vous dis ? s’enquiert l'auditeur de justice, en continuant l’histoire. Quelle est votre position aujourd’hui ?

– J’avais pissé dans mon froc… Il y a tellement de choses que j’ai pu sortir. J’étais plus moi-même.

– Effectivement, vous aviez bu : on a relevé 0,62 g d’alcool par litre de sang.

– Je conteste pas l’alcool, je suis alcoolique. À chaque fois que je prends de l’alcool, paf, paf, paf, conclut Pierre, moulinant au-dessus de lui.

– C’est par rapport à votre chienne que vous vous êtes énervé ?

– Ben oui !

– Attention, qu'on soit d’accord, Monsieur, ça n’est pas une justification pour insulter un agent. Quel regard portez-vous sur vos actes ?

– C’est des regrets, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise… C’est que des conneries, parce que j’étais alcoolisé. »

L’expertise psychologique du 7 août 2018 n’a pas donné grand chose. Pierre était ivre lors de l’examen. Le magistrat en devenir résume : un traumatisme crânien ancien, la vie à la rue un temps, l’Allocation adulte handicapé, des plaintes du maire à cause du bruit chez lui, la curatelle… « renforcée », termine Pierre, qui suit tant bien que mal.

Pierre à la barre.

Pierre à la barre. Dessin : Pierre Budet.

Le psychiatre n’a pas décelé de pathologie mentale, mais une « dépendance ancienne à l’alcool » et une certaine « désinhibition ». L’expert préconise une obligation de soin à Pierre, qui se soigne déjà.

« Vous voulez nous en parler ?

– Ça va, ça va… Je prends mes trucs comme il faut. C’était un peu dur au début.

– Vous en étiez où dans votre consommation d’alcool ?

– Arrh… des fois cinq ou six bières, avec des flashes de rhum, vous voyez.

– Depuis combien de temps vous consommez, Monsieur ?

– L’alcool dur ? Pff… 27 ans ? Vingt-sept ans pour l’alcool dur. Je m’abstinais quand j’avais une voiture, puis les gendarmes de Montfort m’ont retiré le permis quand j’étais ivre, à pied. Je me suis renseigné après et si, ils ont le droit de retirer le permis même si on est à pied. »

« J’espère que cette cure va me faire du bien »

Son casier judiciaire comporte treize mentions. « Je sais, je sais », abrège Pierre, tout croulant. « Oui, mais je vais quand même le lire », signale l’auditeur de justice, avant d’égréner les condamnations pour destruction de biens, vols avec violence, un outrage pour lequel il a déjà été condamné en 2015. Pierre se hisse une fois de plus le long de la barre. « J’espère que cette cure va me faire du bien. »

La victime, absente, demande 400 euros pour le préjudice moral. Pierre touche près de 800 euros par mois, mais du fait « de dettes, pas mal de dettes », cela lui laisse environ « 40 euros par semaine ». Le procureur, Éric Calut, requiert trois mois de prison avec sursis pour punir ce Pierre « suralcoolisé et au comportement incontrôlable », en état de récidive légale.

La défense s’aligne et plaide « plutôt pour une peine avec sursis ». Le tribunal a condamné Pierre à trois mois de sursis avec une mise à l’épreuve de deux ans. Il a l’obligation d’indemniser la partie civile, de fixer sa résidence et de se soigner. Pierre s'en va, direction l'hôpital.

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