La présidente de la chambre des comparutions immédiates s'énerve : Lassine a refusé d'être extrait de sa cellule de Fleury. Inadmissible, peste-t-elle, surtout après cette « violence absolument gratuite commise en pleine journée ». Six jours avant, Lassine, bourré et défoncé, pissait dans la rue près de la gare du Nord. Une passante râle, lui indique des toilettes publiques. Il se rue dessus, la fait tomber, « puis, à califourchon sur elle, la frappe. Un déluge de coups de poing. Il tente de l'étrangler », lit la présidente.
L'avocat commis d'office se sent inutile et demande à partir : Lassine n'a pas voulu être représenté. Pas étonnant au vu de l'expertise psychiatrique : « troubles schizophréniformes… légère déficience intellectuelle… désinsertion sociale totale… » Voilà quelques années qu'il dort sur un banc près de la gare du Nord. Aux policiers, il n'a livré que « des réponses erratiques », dit le procès-verbal. La procureur demande six mois ferme avec maintien en détention. Le tribunal lui file le double, un an ferme.
« En détention provisoire pour qu'il puisse voir un psychiatre en prison »
Entre Boudjemaa, 21 ans. Cheveux rasés sur les côtés. Des yeux torturés emplis de désespérance. Ses avants-bras entièrement tailladés. Il a volé une veste trois jours auparavant. La présidente hésite : peut-être un renvoi en attendant une expertise psychiatrique. Boudjemaa soulève légèrement son t-shirt marqué « Make your own destiny » et laisse apparaître son torse tout aussi scarifié. La présidente réprime un haut-le-cœur. « Ça c'est parce que ma mère est morte il y a quelques jours », explique Boudjemaa d'une petite voix.
La procureur accepte le renvoi, mais demande le maintien en détention, « essentiellement pour éviter le renouvellement des faits – Boudjemaa a déjà été condamné 15 fois pour vol, entre autres à 10 mois ferme en 2014 – et pour qu'il puisse voir un psychiatre en prison ». Son avocate, une apprentie-magistrate, note que « son état de santé n'est pas compatible avec la détention ». Le tribunal renvoie l'affaire à un mois et demi plus tard pour obtenir une expertise, mais Boudjemaa reste en préventive.
« J'voulais pas que ma mère elle le sache »
Au tour d'Aboubacar, un gamin frêle au regard de faux dur. Un avocat gêné s'approche de la présidente : « Sa mère arrive avec sa carte d'identité, il serait mineur. » La procureur éclate : « C'est quoi cette plaisanterie ! On a essayé tout le week-end de vérifier son identité. Je vois pas l'intérêt de se déclarer majeur si on est mineur. » Le prévenu s'explique, en baissant la tête : « J'voulais pas que ma mère elle le sache, vazy j'ai donné mon nom et une fausse date de naissance. »
Sa mère arrive, Aboubacar a bien 17 ans. Ça s'arrange, mais il s'est mis à dos la procureur. Elle lui passe un savon et pointe « les faits particulièrement graves qui lui sont reprochés » : un vol avec violence. La victime, accessoirement épouse d'un président de cour d'appel, semble avoir un cocard et un doigt cassé. Aboubacar veut quand même prendre la parole : « Excusez-moi, madame, j'ai fait des trucs pas bien dans ma vie, mais c'est le seul truc que je regrette. » Le tribunal le libère et transmet le dossier à une juridiction pour mineur.
« À 44 ans, vous pouvez reprendre votre vie en main et retourner chez votre maman »
Dans le box, Karim est resté calme et stoïque, attendant son tour. Veston noir, t-shirt classe, lunettes rectangulaires plantées sur le bout de son nez, les cheveux un peu fous, il tient plus du dandy hédoniste que du voleur au « casier élogieux », selon le mot de son avocat. Cette fois, c'était une sacoche. La présidente s'étonne : aucune condamnation depuis 2004.
« J'étais dans le Sud, chez ma maman, explique Karim d'une voix chantante. Dans le Sud, ya rien à voler.
– Quand vous êtes dans le Sud, vous ne volez pas ? rigole la présidente.
– Oui, je suis sage comme une image.
– Et bien c'est bien possible, dans votre casier, il n'y a aucune condamnations d'un tribunal dans le Sud. Par contre, il y a un véritable trust sur Paris. Votre maman, c'est un rétablissement contre la délinquance ! »
Karim travaille de temps en temps dans le bâtiment, touche l'allocation adulte handicapé depuis une dépression. Il est SDF depuis peu : « Ma mère m'a mis dehors, mais elle va me reprendre parce que c'est la période du ramadan, développe-t-il tranquillement. Si j'arrête l'alcool. Comme c'est une croyante, elle ne supporte pas que son fils boive de l'alcool. »
La procureur estime la mise à l'épreuve pas justifiée et demande trois mois de sursis. L'avocat de Karim plaide sans peine, rassure son client, qui était sûr de finir derrière les barreaux : « La justice n'est pas là pour mettre les gens dans le trou. À 44 ans, vous pouvez reprendre votre vie en main et retourner chez votre maman. » Le tribunal suit les réquisitions de la procureur. « Vous voyez, on ne va pas toujours en prison, contrairement à ce que vous avez dit, clôt la présidente d'une voix douce. – Merci, madame », répond Karim dans un sourire.